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« Pour mieux connaitre nos mérous, chaque signalement compte ! »

Propos recueillis par Doriane Blottière - Publié le 12 juil. 2022
Mérou de Nassau (*Epinephelus striatus*) © RNN Saint-Martin

Mérou de Nassau (Epinephelus striatus) © RNN Saint-Martin

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Aude Berger, Association gestionnaire de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin

Parmi les nombreux poissons qui peuplent les eaux des Caraïbes, deux espèces de mérous se distinguent par leur taille et leur longévité : le Mérou géant et le Mérou de Nassau. Prisées par les pêcheurs, ces deux espèces se raréfient. Avec le programme « Les yeux des mérous », coordonné par Aude Berger, l’association gestionnaire de la Réserve Naturelle Nationale de Saint-Martin appelle les usagers du milieu marin à signaler leurs observations opportunistes pour améliorer les connaissances sur ces deux espèces.

Q: L’appel à observations « les yeux des mérous » est mis en place dans le cadre du programme LIFE BIODIV’OM, en quoi consiste ce programme participatif ?

Le LIFE BIODIV’OM est un programme européen de conservation de la biodiversité portant sur 5 territoires ultra-marins. A l’origine du volet saint-martinois, l’Association de Gestion de la Réserve Naturelle de Saint-Martin (AGRNSM) avait été sollicitée par la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), coordinateur du projet. Plusieurs thèmes ont été envisagés, et ce sont finalement les enjeux de conservation des populations de Mérou géant (Epinephelus itajara) et de Mérou de Nassau (Epinephelus striatus), que nous avons retenus.


Ce sont des espèces emblématiques : les plus gros poissons qu’on puisse voir sur les récifs coralliens et de grands prédateurs, avec un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes coralliens (espèce clé de voûte). Or, le Mérou géant a pratiquement disparu de nos eaux et son observation est devenue exceptionnelle. Le Mérou de Nassau y est quant à lui quasiment uniquement aux stades précoces, les grands adultes étant devenus extrêmement rares. La disparition de ces animaux ici est liée à leur exploitation déraisonnée (absence de gestion des stocks et prélèvements sur les zones d’agrégations reproductives) et à la dégradation de leurs habitats essentiels (aménagements côtiers, pollution,…).


Pour ce LIFE, initié en septembre 2018 et s’achevant en 2023, notre objectif est d’essayer de mieux comprendre ce qui se passe, et pouvoir éventuellement proposer des mesures de gestion pour accompagner la restauration de ces populations pour la biodiversité et l’économie locale. Le programme comprend de nombreux volets, avec par exemple une étude du potentiel de colonisation des petits fonds côtiers par les larves et une étude socio-économique des usages liés aux populations de mérous à Saint-Martin. Des plongées de suivi des populations adultes sont également organisées deux fois par an sur 8 stations, le long de parcours linéaires prédéfinis (transects de 150 mètres de long). Mais ces suivis restent ponctuels dans le temps et l’espace, ainsi chaque signalement complémentaire relayée par un observateur opportuniste extérieur a son importance dans la compréhension et la préservation de ces espèces emblématiques de nos récifs !

Plongée de suivi des mérous sur un transect © RNN Saint-Martin

Plongée de suivi des mérous sur un transect © RNN Saint-Martin

Q: A qui s’adresse ce programme, et comment vous faire remonter les observations ?

C’est un programme qui s’adresse au grand public, en particulier les plongeurs et snorkeleurs, mais aussi aux pêcheurs car ils sont souvent en première ligne pour les observer. Il suffit d’envoyer un e-mail à l’adresse : lesyeuxdesmerous@yahoo.com avec la date et l’heure, le lieu, l’espèce observée, la taille et si possible une photo. On récolte tous les témoignages, même sans photos parce que les poissons sont devenus craintifs et discrets à l’approche des plongeurs. Sans image, on retient l’incertitude quant à l’espèce, mais l’observation est comptabilisée. Les pêcheurs sont nos premiers contributeurs. Bien qu’exploitant cette ressource, ils ont à cœur de mieux la gérer pour pouvoir continuer à pêcher. Nous notons également les observations survenues dans les eaux des îles voisines, comme Saint-Barthélemy, car les mérous ne connaissent pas de frontière et migrent saisonnièrement tout au long de leur vie.


Il peut y avoir confusion entre les deux espèces quand on n’est pas spécialiste, surtout qu’ici on a tendance à donner le même nom usuel à plusieurs espèces de la même famille. Il y a d’autres espèces de mérous plus petites et leur comportement furtif peut conduire à des erreurs d’identification. Il y a quelques indices assez simples pour les reconnaitre : le Mérou de Nassau a des bandes verticales foncées sur fond clair, et une tâche noire entre le corps et la nageoise caudale ; le Mérou géant a des petits points sombres sur tout le corps et une nageoire caudale arrondie.

Support de communication « Les yeux des mérous » avec description des deux espèces © RNN Saint-Martin

Support de communication « Les yeux des mérous » avec description des deux espèces © RNN Saint-Martin

Q: Le programme est en place depuis 2018, quels sont les premiers résultats ?

Bien que « les yeux des mérous » soit en place depuis le début du programme LIFE, nous n’avons pu l’animer comme nous le souhaitions du fait du contexte sanitaire. Cette année devrait permettre l’organisation de réunions et d’évènements public pour lancer ce programme participatif comme il se doit. Malgré tout, les premières données sont là pour le Mérou de Nassau et confirment que l’on observe principalement des individus de petites tailles. Mais on ne sait pas encore ce qu’ils deviennent : prédation, prélèvements, migration… Pour le Mérou géant, c’est très exceptionnel, nous n’avons que deux observations déclarées pour le moment, dont une faite par nous-même pendant la mise en place d’une plongée de suivi ! C’était un très gros individu ! Mais c’est vraiment un animal extrêmement rare le long de nos côtes peu profondes.

Le Mérou géant (*Epinephelus itajara*) observé par les agents de la Réserve © RNN Saint-Martin

Le Mérou géant (Epinephelus itajara) observé par les agents de la Réserve © RNN Saint-Martin

Ce programme nous permet d’informer et d’impliquer les usagers, pour les amener à signaler ces rencontres trop rares. Il y a un gros manque de connaissances sur ces espèces à Saint-Martin, pourtant les mérous sont à la carte de beaucoup de restaurants ! Les pêcheurs ne les ciblent pas particulièrement mais cela fait partie des espèces qu’ils attrapent et qui se vendent et se consomment très bien.

Q: Vous réalisez également de nombreuses actions pour sensibiliser les scolaires ?

Oui, et on est victimes de notre succès, car malheureusement on ne peut pas répondre à toutes les demandes ! Pratiquement toutes les écoles de Saint-Martin participent aux activités de sensibilisation que nous mettons en place. Nous faisons principalement des activités en classe et des sorties sur le littoral. Règlementairement, cela reste un contraignant de faire évoluer les enfants dans l’eau, alors on invente des solutions, notamment avec des casques permettant de visionner des vidéos de plongée à 360° sur les récifs locaux. Mais cette année une classe de lycée va être formée à la plongée et à la réalisation d’un petit suivi scientifique sous l’eau. Une classe de CE1 a également participé à notre étude sur la colonisation larvaire, en venant avec nous au laboratoire pour participer au tri des échantillons de post-larves récoltées et à leur identification. Cela leur a beaucoup plu !

Les enfants s’initient au tri et à l’identification des larves de poissons © RNN Saint-Martin

Les enfants s’initient au tri et à l’identification des larves de poissons © RNN Saint-Martin

Q: La répartition de ces deux espèces n’est pas limitée aux eaux de Saint-Martin ?

Non, ce ne sont pas des espèces endémiques de Saint-Martin, mais elles ne sont visibles que dans l’Océan Atlantique. Le Mérou de Nassau est présent de la Caroline du Nord jusqu’aux côtes du Brésil. Le Mérou géant se trouve de la Floride jusqu’au Brésil également, et il y a aussi quelques individus sur la côte ouest de l’Afrique. Ses larves sont dispersées par les courants depuis l’Amérique du Sud pour aller s’installer dans toute la Caraïbe, mais on ne connait pour l’instant que très mal ces voies de circulations, d’où l’intérêt de notre étude sur la colonisation larvaire ! On sait en revanche que les adultes peuvent faire quelques centaines voire quelques milliers de kilomètres pour se reproduire, en fraies pendant la période de reproduction, c’est-à-dire se regrouper sur des sites bien particuliers. Pour le moment ce type de regroupement n’ont pas été observés à Saint-Martin ou Saint-Barthélemy. Cela fait partie des connaissances qui nous reste à acquérir !

Mise en place du dispositif de capture de larves © RNN Saint-Martin

Mise en place du dispositif de capture de larves © RNN Saint-Martin

Nous travaillons beaucoup avec la Guyane, qui est l’un des autres territoires bénéficiaires du LIFE BIODIV’OM. Là-bas, le GEPOG met en œuvre son deuxième programme en faveur des mérous géants. Cette espèce y est bien installée, mais subit des prélèvements encore mal évalués et peu gérés (pêche de loisir et professionnelle légale et illégale). Les eaux guyanaises sont tellement turbides (peu transparentes) que le suivi en plongée y est impossible ! Ils utilisent plutôt la technique de capture-marquage-recapture (CMR) : ils pêchent des individus, les marquent puis les relâchent pour les repêcher plus tard, et estiment ainsi les effectifs et la croissance de la population.


Nous collaborons également avec l’Agence Territoriale de l’Environnement (ATE) de Saint-Barthélemy. Nous leur transférons le savoir-faire acquis pendant le programme, notamment dans le cadre de l’étude de la colonisation larvaire à laquelle les agents de l’ATE ont participé. Ils sont ainsi en capacité de la mettre en œuvre dans leurs eaux pour contribuer à une gestion régionale.

Larve de Mérou couronné (*Epinephelus guttatus*)  © RNN Saint-Martin

Larve de Mérou couronné (Epinephelus guttatus) © RNN Saint-Martin

En revanche, la collaboration dans le cadre de ce LIFE avec Sint Maarten (partie hollandaise de l’ile de Saint-Martin), reste difficile car non-finançable par le LIFE, du fait de son statut un peu spécial. C’est la problématique locale récurrente, liée à l’existence de règlementations différentes entre les deux parties de l’île. C’est également le cas avec Anguilla, île voisine à quelques kilomètres au Nord. C’est un frein important pour la conservation des mérous, mais également d’espèces migratrices comme les mammifères marins.

Q: Quelles est la conduite à suivre, pour préserver les mérous et le milieu marin ?

Pour palier au manque de connaissances : participez au « yeux des mérous » et signalez-nous toutes les observations de ces deux espèces à Saint-Martin ! Dans le cadre du LIFE BIODIV’OM, nous allons également bientôt lancer la plateforme Faune Saint-Martin, qui facilitera le signalement des observations de la faune terrestre ou marine, ainsi que leur archivage et valorisation !


La seconde chose à faire : respectez les règlementations ! Un arrêté encadrant la pratique de la pêche de loisir a été mis en place pendant le LIFE BIODIV’OM. Il interdit la pêche du Mérou géant et du Mérou de Nassau en tout lieux et en tout temps à Saint-Martin pour les pêcheurs non-professionnels.


Enfin, le respect des écogestes à terre ou en mer contribue à limiter l’impact de nos activités et la dégradation des habitats et populations : gérer correctement ses déchets, ne rien prélever lors des plongées et ne pas jeter l’ancre sur les zones sensibles. Mais l’une des principales causes de dégradation de notre patrimoine naturel à Saint-Martin est l’épuration encore trop partielle des eaux usées impactant le milieu marin. Il faut surtout faire remonter à nos décideurs notre intérêt à bénéficier d’un cadre de vie préservé, délivrant gratuitement des services écosystémiques : loisirs, ressources alimentaires, épuration des eaux, production d’oxygène, lutte contre l’érosion littorale…

Mérou de Nassau (*Epinephelus striatus*) © Julien Chalifour - RNN Saint-Martin

Mérou de Nassau (Epinephelus striatus) © Julien Chalifour - RNN Saint-Martin

Pour en savoir plus consultez le site du LIFE BIODIV’OM et le site de la Réserve naturelle nationale de Saint-Martin, et suivez les actualités de la réserve sur la page Facebook. Envoyez vos observations de Mérou géant et de Mérou de Nassau à lesyeuxdesmerous@yahoo.com.

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