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« Les îlets sont encore assez peu connus des inventaires naturalistes »

Propos recueillis par Doriane Blottière - Publié le 26 mars 2024
Échantillonnage de la faune du sol © Fabian Rateau – OFB

Échantillonnage de la faune du sol © Fabian Rateau – OFB

Fabian Rateau, Responsable de l’UTC Antilles de l’OFB

Fabian Rateau, Responsable de l’UTC Antilles de l’OFB

Entre septembre et octobre 2022, quatre îlets de Martinique ont été passés au peigne fin par une équipe pluridisciplinaire d’une quinzaine de naturalistes. L’objectif ? Inventorier les espèces patrimoniales et cartographier leur répartition, ainsi qu’identifier les espèces exotiques envahissantes présentes qui pourraient menacer l’équilibre écologique de ces milieux encore peu étudiés. Rencontre avec Fabian Rateau, responsable de l’Unité Technique et Connaissance (UTC) des Antilles à l’Office français de la biodiversité, qui a coordonné les opérations.

Q: Les inventaires réalisés couvrent un large ensemble de compartiments de la biodiversité : plantes, oiseaux, reptiles et amphibiens, mais aussi insectes volants, mollusques terrestres et faune invertébrée du sol. Pourquoi avoir choisi de réaliser une telle étude sur les îlets de Martinique ?

Les îlets, c’est-à-dire les petites îles, sont des espaces assez peu connus des inventaires naturalistes, parce que la plupart sont difficilement accessibles. Ce sont aussi des milieux qui attirent moins les naturalistes que les grandes forêts humides par exemple, car ils sont généralement moins diversifiés mais ça ne veut pas dire qu’ils sont dénués d’intérêt pour autant !

Il y a des enjeux très importants sur certains îlets dans les Antilles françaises, comme l’îlet Chancel en Martinique où subsistent les iguanes endémiques des Petites Antilles (Iguana delicatissima), ou encore l’archipel des Saintes en Guadeloupe où on trouve la Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum), une couleuvre endémique. Ces deux espèces sont en sérieux danger d’extinction.

L’îlet du Galion © Regis Delannoye

L’îlet du Galion © Regis Delannoye

Un premier état des lieux avait été réalisé au début des années 2000 sur quelques îlets de Martinique, mais il ne couvrait que l’ornithologie et la botanique, sur les autres espèces rien n’avait été effectué jusqu’à présent. L’idée était donc de réaliser un inventaire sur des groupes qui n’avaient jamais été étudiés, notamment en vue de peut-être trouver des reptiles menacés sur le reste du territoire.

Nous voulions également étudier la présence d’espèces exotiques envahissantes, en particulier identifier les îlets où les rats étaient présents, car ils sont l’une des plus grandes menaces pour la biodiversité locale.

Enfin, nous en avons profité pour actualiser les connaissances sur les deux groupes ayant déjà été étudiés précédemment, les oiseaux et les plantes, car comme je le disais les dernières données datent d’il y a plus de 20 ans !

Forêt semi-xérophile littorale sur l’îlet Saint Aubin © Benjamin Ferlay - CBNMq

Forêt semi-xérophile littorale sur l’îlet Saint Aubin © Benjamin Ferlay - CBNMq

Q: Vous avez réuni une équipe diversifiée, dans laquelle chacun des membres avait une expertise spécifique. Comment s’est monté le projet ?

J’ai d’abord commencé à discuter avec des botanistes du Conservatoire Botanique National (CBN) de Martinique, ainsi qu’avec un expert en entomologie de PatriNat (OFB-MNHN-IRD-CNRS). Ils ont très bien accueilli le projet et en ont parlé à d’autres naturalistes : un expert de la faune du sol du CIRAD et des experts indépendants sur l’entomofaune volante et les mollusques. Le Parc naturel régional de Martinique, de son côté, a fait venir des ornithologues. Les botanistes du CBN qui étaient avec nous étaient particulièrement pointus et s’intéressaient également aux bryophytes (les mousses). De fil en aiguille, nous avons réussi à réunir une équipe très complète sur le milieu terrestre !

Il faut dire que nous avons une bonne expertise naturaliste en Martinique, sur une quinzaine de participants au projet seuls deux sont venus de métropole. Toutefois, cette expertise est fragile, et pour certains taxons comme les mollusques, elle ne repose que sur une seule personne.

Notre regret, c’est de n’avoir eu aucun spécialiste de la fonge, car contre toute attente nous avons trouvé beaucoup de champignons, les milieux n’étaient pas aussi secs que ce qu’on pensait !

L’accès aux îlets est parfois délicat, comme ici au Galion © Fabian Rateau – OFB

L’accès aux îlets est parfois délicat, comme ici au Galion © Fabian Rateau – OFB

Sur la quarantaine d’îlets présents autour de la Martinique, nous en avons sélectionné quatre : Gros Îlet, l’îlet Céron, l’îlet du Galion et l’îlet Saint Aubin. La date des inventaires a été conditionnée par l’état de la mer : l’accessibilité des îlets est difficile et dangereuse, nous avons donc choisi la période où il y avait le moins de vent et où la mer serait la moins agitée. Entre trois et six jours de terrain ont été nécessaire pour chacun des quatre îlets prospectés.

Chaque spécialiste a mis en place ses méthodes et ses protocoles : une prospection visuelle pour la flore et les mollusques, des pièges photographiques pour la faune vertébrée, plusieurs types de pièges différents pour les insectes (piège Malaise, coupelles jaunes, pièges lumineux, etc.).

Exemples des différentes méthodes utilisées pour échantillonner l’entomofaune volante © Eddy Poirier

Exemples des différentes méthodes utilisées pour échantillonner l’entomofaune volante © Eddy Poirier

Q: Quelles sont vos principales découvertes ? Avez-vous été surpris par ce que vous avez trouvé ?

Au niveau de la flore, on a retrouvé quasiment tout ce qui avait déjà été inventorié dans les études de début 2000, et on a ajouté de nombreuses espèces ! Pour le reste donc, hormis les oiseaux, nous n’avions aucun point de comparaison possible avec de précédents travaux.

Ce qui nous a fortement surpris, c’est la grande diversité d’habitats présents sur l’îlet du Galion qui ne fait pourtant que deux hectares. Ce sont des paysages qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Martinique, et qui sont en plus très peu perturbés. Sur un si petit îlet, c’était un peu inattendu ! Cependant, nous avons constaté une absence complète de régénération de certaines espèces végétales dans les forêts du Galion, ainsi que dans celles du Gros Ilet, notamment en ce qui concerne le Courbaril (Hymenea courbaril), une espèce patrimoniale menacée en Martinique, car tout est consommé par les vertébrés introduits envahissants. En gros, une partie des formations végétales de ces îlets sont vouées à disparaître à long terme s’il n’y a pas d’intervention, à cause de la prédation des graines et jeunes pousses par les vertébrés introduits.

Forêt mésophile du Galion © Alice Armand - OFB

Forêt mésophile du Galion © Alice Armand - OFB

Car justement, et malheureusement, on a trouvé beaucoup d’espèces exotiques envahissantes ! Il y a des rats sur tous les îlets, mais aussi des moutons et des poules sur Gros Ilet. On a également trouvé le Manicou (Didelphis marsupialis) sur l’îlet Saint Aubin, qui est pourtant situé à un kilomètre de la côte, et le Crapaud buffle (Rhinella marina) sur l’îlet du Galion. Je ne m’attendais pas à trouver ces deux espèces ! Sur l’îlet Saint Aubin, nous avons également eu la surprise de trouver du Filao (Casuarina equisetifolia), une espèce végétale exotique très néfaste car elle acidifie les sols. Ce n’est pas une espèce qui se disperse bien par la mer et le peuplement est situé assez haut sur l’îlet, ce n’est donc très probablement pas une introduction naturelle.

À gauche : Mouton sauvage à Gros Ilet ; à droite : Préparation des pièges à rongeurs ©Fabian Rateau – OFB

À gauche : Mouton sauvage à Gros Ilet ; à droite : Préparation des pièges à rongeurs ©Fabian Rateau – OFB

Même pour les mollusques, dont nous avons trouvé 3 espèces – d’ailleurs l’expert était surpris car il pensait que ce serait tellement sec qu’il n’y aurait rien – l’une des trois espèces est exotique…

Mais dans les bonnes nouvelles, nous avons aussi trouvé des espèces patrimoniales rares, par exemple une lentille d’eau considérée en danger critique d’extinction, trouvée en grande quantité dans une mare de Gros îlet, une orchidée rare et discrète dans les forêts de Gros îlet et de l’îlet Céron, ou encore une espèce de palétuvier très rare en Martinique dans la mangrove de l’îlet Céron.

Plusieurs espèces de bryophytes sont également nouvelles pour la Martinique, et une espèce de cloporte est même probablement nouvelle pour la science !

*Fissidens perfalcatus* © Benjamin Ferlay - CBNMq

Fissidens perfalcatus © Benjamin Ferlay - CBNMq

Q: Ces espaces sont-ils protégés ? Est-ce qu’une gestion des espèces exotiques envahissantes va être mise en place ?

D’un point de vue foncier, environ 70% de la superficie cumulée de ces 4 îlets est protégée, et la seule partie non protégée est très difficile d’accès. Il n’y a quasiment aucune activité humaine sur les 4 îlets étudiés, ce sont vraiment les espèces exotiques envahissantes le problème pour la conservation à long terme de ces milieux.

Nous avons présenté les résultats de cet inventaire aux gestionnaires. Des études de faisabilité sont en cours sur la gestion des espèces exotiques, notamment pour faire de la dératisation, qui apparaît comme l’enjeu prioritaire. Si cela aboutit, il faudra ensuite être très vigilants pour s’assurer que les rats ne reviennent pas sur les îlots qui auront été dératisés !

Q: Est-ce que d’autres inventaires tels que celui-ci sont prévus ?

Pas pour le moment, mais nous avons réalisé un autre inventaire dans l’archipel des Saintes en Guadeloupe, moins pluridisciplinaire et focalisé principalement sur les reptiles et les espèces exotiques envahissantes (voir notre reportage photo Mission naturaliste aux Saintes). Là aussi, ce qu’il en ressort, c’est que les îlets inhabités sont dévastés par les espèces introduites : chèvres, rats, poules… Dès qu’il pleut aux Saintes, il y a des éboulements parce qu’il n’y a plus de végétation pour stabiliser les sols.

Nous essayons de faire beaucoup de sensibilisation pour alerter sur les impacts de ces espèces introduites, notamment les animaux à l’origine domestiques. Ça bouge petit à petit, une élue sénatrice de Terre de Bas a notamment récemment alerté le gouvernement sur cette problématique.

On a de très bons exemples de programmes de gestion des espèces introduites qui ont fonctionné dans les autres territoires des Caraïbes, par exemple à Antigua et Barbuda. Sur les îlets d’Antigua (Great Bird Island, Green Island, Rabbit Island, York Island), un premier programme a permis de sauver la Couresse d’Antigua, dont il restait seulement 50 individus. Désormais, la population est estimée à plus de 1000 ! (voir publication). Un second, sur l’île de Redonda cette fois, où ils ont retiré les chèvres, dératisé, et la végétation a pu recommencer à pousser. Les populations de diverses espèces de lézard ont aussi très largement augmenté (voir reportage vidéo).

Il est donc possible d’agir ! La gestion des espèces exotiques envahissantes est vraiment le levier le plus efficace qu’on ait pour la conservation des espèces menacées dans les îles et îlets des Antilles.

Pour en savoir plus, découvrez l'OFB aux Antilles et le territoire de la Martinique.

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