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reportage Guadeloupe

Mission naturaliste aux Saintes : pour la conservation des reptiles endémiques de Guadeloupe

Publié le 31 mai 2022
Couresse des Saintes (*Alsophis sanctonum*), Ilet-à-Cabrit © Alice Armand

Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum), Ilet-à-Cabrit © Alice Armand

Benoît Pisanu - Patrinat (OFB - MNHN - CNRS

Par Benoît Pisanu - Patrinat (OFB - MNHN - CNRS)

Les reptiles sont l’un des groupes de vertébrés endémiques les plus menacés aux Antilles. En cause ? L’introduction d’espèces exotiques envahissantes et l’altération des habitats liés au défrichement. En novembre 2021, une équipe de l’Office français de la biodiversité (OFB) a réalisé une mission sur deux îlets inhabités de l’archipel des Saintes. Objectif : recenser les mammifères et les oiseaux introduits, ainsi que les reptiles endémiques de l’Ilet à Cabrit et Grand Ilet, pour définir les mesures de gestion à mettre en place pour la conservation de ces derniers. Explications en images.

Vue sur Terre-de-Bas et Terre-de-Haut © Benoît Pisanu

Vue sur Terre-de-Bas et Terre-de-Haut © Benoît Pisanu

« L’archipel des Saintes est un ensemble d’îles et d’îlets situé au sud de la Guadeloupe, à l’ouest de l’île de Marie-Galante. Seules les deux plus grandes îles, Terre-de-haut et Terre-de-bas sont habitées. Des sept îlets restants, Grand Ilet et l’Ilet à Cabrit, qui ont fait l’objet de cette étude, sont les plus grands. Un bivouac y a été installé le temps de la mission. »

Julien Lopez-Pardo, Jean-François Maillard et Alice Armand © Benoît Pisanu

Julien Lopez-Pardo, Jean-François Maillard et Alice Armand © Benoît Pisanu

« Sous la houlette de Fabian Rateau, l’équipe de l’Unité Technique et Connaissance (Direction des Outre-mer de l’OFB) est entièrement mobilisés dans les enjeux de conservations des reptiles guadeloupéens. Avec le soutien du Conservatoire du Littoral et de la mairie de Terre-de-Haut, Alice Armand, épaulée par Julien Lopez-Pardo, a organisé cette mission de terrain de 15 jours pour étudier les reptiles endémiques de l’Ilet à Cabrit et Grand Ilet. Pour recenser les mammifères et les oiseaux introduits et estimer leur impact sur les reptiles, Jean-François Maillard et Benoît Pisanu, deux collègues experts des vertébrés terrestres exotiques envahissants, ont complété l’équipe. »

Couresse des Saintes (*Alsophis sanctonum*)  © Alice Armand

Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum) © Alice Armand

« Sur les 17 espèces de reptiles indigènes, endémiques de Guadeloupe ou des Petites Antilles, sept espèces sont classées « en danger » ou « en danger critique » d’extinction selon la Liste rouge de la faune de Guadeloupe publiée en 2021, et quatre sont déjà considérées comme éteintes. Cette couleuvre, la Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum) est l’une des 4 espèces de serpents indigènes encore présents sur le territoire, elle est classée « en danger ». Plusieurs individus ont été observés à l’Ilet à Cabrit, mais elle semble absente de Grand Ilet.»

Ilet à Cabrit © Benoît Pisanu

Ilet à Cabrit © Benoît Pisanu

« Nous arrivons par l’Anse sous le vent sur l’Ilet à Cabrit. Grâce à un protocole fondé à la fois sur l’observation directe des reptiles, l’emploi de pièges photographiques et de pièges appâtés classiques et non vulnérants, un bilan chiffré des reptiles, et des mammifères et oiseaux terrestres introduits a pu être réalisé. Ces données sont nécessaires pour évaluer les méthodes de gestion à mettre en place. »

Mise en place du matériel © OFB

Mise en place du matériel © OFB

« Julien installe le dispositif permettant de coupler deux méthodes pour les comptages : les observations à des points fixes et l'utilisation de pièges photographiques. Les pièges photographiques permettent de réaliser de nombreuses observations en limitant les moyens humains nécessaires et le potentiel dérangement de la faune. Les piquets permettent d’évaluer la distance à la caméra par les animaux observés, le premier piquet est situé à 2.5 m de l’appareil. »

Anolis des Saintes (*Ctenonotus terraealtae*) © Alice Armand

Anolis des Saintes (Ctenonotus terraealtae) © Alice Armand

« Concernant le recensement des reptiles, en dehors des nombreux Anolis des Saintes (Ctenonotus terraealtae), seule la Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum) a été recensée, en petit nombre, sur l’Ilet à Cabrit. Sur Grand Ilet, le Sphérodactyle des Saintes (Sphaerodactylus phyzacinus) et les Anolis étaient présents en grand nombre, mais aucune couresse n’y a été observée. Aucun scinque n’a été recensé lors de la mission. »

Chèvre photographiée à moins de 2.5 mètres du piège photographique © OFB

Chèvre photographiée à moins de 2.5 mètres du piège photographique © OFB

« Près de 200 chèvres (Capra hircus) ont été comptabilisées sur l’Ilet à Cabrit. Compte tenu de la petite taille de l’îlet, elles représentent la menace la plus grande pour les habitats et les espèces indigènes par surpâturage. Sur cette photo, on note l’absence de strate herbacé-arbustive et de litière, cela témoigne d’un abroutissement excessif par un trop grand nombre de chèvres. La densité estimée sur l’îlet est de 4 à 6 individus par hectare, alors que la densité recommandée pour limiter leur impact est inférieure à 0.5 chèvre/ha. »

Peuplement à poiriers pays *Tabebuia heterophylla* et prairie de graminées © Benoît Pisanu

Peuplement à poiriers pays Tabebuia heterophylla et prairie de graminées © Benoît Pisanu

« Sur Grand Ilet, la végétation est dense et peu modifiée car la pression d’abroutissement par les chèvres est beaucoup plus faible que sur l’Ilet à Cabrit. Seul un petit troupeau d’une cinquantaine d’individus a été comptabilisé, et il reste très localisé sur les prairies nord-ouest de l’île. »

Rat noir (*Rattus rattus*) © Benoît Pisanu

Rat noir (Rattus rattus) © Benoît Pisanu

« Sur Grand Ilet, la présence du Rat noir (Rattus rattus) est la deuxième menace identifiée pour les reptiles - soit par prédation, soit par compétition alimentaire sur les insectes – avec toutefois une densité relativement faible de l’ordre de 4 rats/ha. Celui-ci a été pris en photo autour de notre bivouac. Des rats sont également présents sur l’Ilet à Cabrit, mais ils sont très rares et localisés, et l’espèce précise n’a pas pu être déterminée. »

Coq domestique (*Gallus gallus domesticus*) © OFB

Coq domestique (Gallus gallus domesticus) © OFB

« La troisième menace par ordre d’importance pour les populations de reptile des îlets, après les chèvres et les rats, sont les poules domestiques (Gallus gallus), comme ce coq photographié à 2,5 m de distance du piège photographique. De la même manière que les rats, les poules sont consommatrices d’insectes et peuvent entraîner une compétition alimentaire avec les reptiles, et même exercer un pression de prédation sur ces derniers. Une centaine d’individu a été recensée sur l’Ilet à Cabrit.
En revanche, la souris domestique n’a été observée sur aucun des deux ilets pendant la mission. Son absence probable est une bonne nouvelle, bien qu’un effort accru de recherche soit encore nécessaire sur Grand Ilet pour en être certain. »

© Alice Armand

© Alice Armand

« Les chats domestiques abandonnés sont une menace importante pour la faune des écosystèmes insulaires par la prédation qu’ils exercent. Trois chats domestiques ont été recensés sur l’Ilet à Cabrit. Pour éviter tout risque de prolifération, ils ont été capturés à l’aide de cages non vulnérantes, et confiés à l’association « Z’animos les Saintes ». Trois chiens errants, qui sont restés très craintifs vis-à-vis de notre présence, ont également été observés sur Grand Ilet. Un effort particulier pour les capturer afin de pouvoir les faire adopter est envisagé. »

Bivouac sur Grand Ilet © Benoît Pisanu

Bivouac sur Grand Ilet © Benoît Pisanu

« La mission a révélé l’urgence de réguler la population de chèvres sur l’Ilet à Cabrit, à l’origine d’une profonde altération de la végétation. Si la décision de contrôler le troupeau de chèvre était prise, un suivi de l’évolution de la végétation, de l’entomofaune (les insectes), des rats et des poules, avec la poursuite de celui des reptiles serait indispensable. En effet, poules et rats pourraient bénéficier d’un accroissement de la couverture végétale et d’une reprise des populations d'insectes pour proliférer, et devenir une menace sérieuse, notamment pour la Couresse des Saintes. »

Papillon *Leptotes cassius* sur une feuille de Poirier-pays (*Tabebuia heterophylla*) sur Grand Ilet © Alice Armand

Papillon Leptotes cassius sur une feuille de Poirier-pays (Tabebuia heterophylla) sur Grand Ilet © Alice Armand

« En revanche sur Grand Ilet, la situation n’est pas considérée comme préoccupante au regard des populations importantes de Sphérodactyles et d’Anolis, et en l’absence a priori de couresse. Une surveillance des chèvres, rats et poules y reste néanmoins nécessaire, tout en continuant les recherches sur les reptiles, afin de ne pas se laisser surprendre – particulièrement en cas d’augmentation du nombre de chèvres, déjà à la limite d’un effectif préoccupant. »


Pour participer à la conservation des serpents endémiques de Guadeloupe et de Saint-Martin, signalez vos observations :

© OFB

© OFB

Les couresses ou couleuvres sont des serpents inoffensifs de la famille des Dipsadidae dont 4 espèces sont présentes exclusivement dans les Antilles. Aujourd’hui, ces espèces sont fortement menacées et risquent l’extinction mondiale. Dans ce contexte, l’OFB lance un appel à témoignage, en partenariat avec la Société herpétologique de France (SHF), afin de faire remonter des éventuelles observations de couresses en Guadeloupe et à Saint-Martin, pour agir pour leur conservation. Envoyez vos signalements à reseaucouresse@gmail.com.


Pour en savoir plus sur la conservation de la biodiversité de Guadeloupe, consultez le portrait du territoire.

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