« Quand on sensibilise aux lucioles, on sensibilise aussi à tous les autres insectes »
Propos recueillis par Doriane Blottière - Publié le 26 janv. 2022Aline M., créatrice de l'observatoire des lucioles de Guadeloupe
Depuis quelques années, la structure guadeloupéenne An ba loup-la (« sous la loupe » en créole antillais) anime le programme Ti bet a limiè, l’Observatoire des lucioles de Guadeloupe. L’objectif ? Recueillir des données sur ces insectes méconnus, mais aussi sensibiliser le public au rôle écologique des insectes et aux perturbations des milieux dont ils sont victimes. Rencontre avec Aline, la créatrice du projet.
Q: Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux insectes lumineux ?
Un soir chez moi en Guadeloupe, j’ai vu une luciole et je me suis dit « tiens c’est vrai qu’on n'en voit plus beaucoup, c’est étrange qu’on n’en voit pas plus que ça ». Jusqu’alors, je n’avais pas remarqué qu’on en voyait moins, quand on n’y fait pas attention on ne s’en rend pas compte. Et puis je me suis dit « mais en fait à quoi ça ressemble cette bestiole ? ». J’ai eu la démarche classique de tout un chacun qui s’intéresse à ce qui se passe autour de lui, et je suis partie à la pêche aux informations.
Lors de mes recherches, j'ai contacté l’Observatoire des Vers luisants et des Lucioles qui existe dans l'hexagone depuis 2015, il est porté par le Groupe Associatif Estuaire et un référent scientifique du CNRS. C’est comme ça qu’on a monté un partenariat et créé le relai guadeloupéen de l’observatoire, qu’on a nommé avec un terme local : Ti bet a limiè, qui veut dire “petites bêtes lumineuses” en créole antillais. Ça a un double sens, ça peut aussi vouloir dire “petits trucs lumineux” : même si on est davantage sur les insectes, si on a des infos qui nous parviennent sur d’autres organismes lumineux, on les prend aussi ! On a par exemple retrouvé un champignon bioluminescent. Mais notre spécialité, c’est les insectes lumineux !
Il n’y a malheureusement pas de données historiques sur l’évolution des populations de ces insectes.
Q: Que sont justement ces petites bêtes ?
En général, on appelle luciole tout insecte qui vole et qui fait de la lumière, mais pour être plus précis, il y a deux groupes d’insectes lumineux : les lucioles, qui sont de la famille des Lampyridés, et les taupins, qui sont des Elatéridés. Chez les lucioles, la lumière provient de l’abdomen, tandis que chez les taupins, on voit deux petits « phares » au niveau du « casque » qui protège la tête de l’insecte. Les lucioles et les taupins sont différents en termes d’écologie, ils n’ont pas les mêmes façons de vivre. En Guadeloupe, on connait 3 espèces de lucioles et 2 espèces de taupins, mais il se pourrait qu’il y ait d’autres espèces qu’on ne connait pas encore.
Il n’y a malheureusement pas de données historiques sur l’évolution des populations de ces insectes. La science « d’avant » était vraiment centrée sur le fait de nommer les espèces et de les identifier, mais pas d’étudier le cycle de vie ou de l’état des populations. Combien de temps dure le stade larvaire ? Est-ce que toutes les espèces de lucioles vivent dans le même type de milieu ? La plupart du temps, on a juste la description morphologique des espèces, on ne sait pas grand-chose de leur écologie. Et en Guadeloupe, il y a peu de scientifiques locaux, la plupart des scientifiques viennent pour des études ponctuelles, ça complique le suivi à long terme.
Q: D’où la création de cet observatoire ?
Oui. Le rôle de l’observatoire est d’améliorer les connaissances sur les insectes lumineux de Guadeloupe,
Q: Comment peut-on participer à la connaissance des insectes lumineux en Guadeloupe ?
On demande aux gens de nous signaler leurs observations d’insectes lumineux. Il y a un formulaire en ligne sur le site internet où nous demandons les informations de base : le lieu, la date, et le nombre d’insectes observés. Il y a aussi un questionnaire plus détaillé si les gens sont motivés à nous donner plus d’informations : si l’insecte était en vol, posé, sur quel support, son comportement, etc. Et on peut bien sûr nous envoyer des photos ! Le fait d’utiliser internet peut limiter certaines personnes : c’est aussi possible de faire un signalement par téléphone ou par courrier.
On organise aussi des sorties nature, parfois avec le Parc National de Guadeloupe. Le nombre de personnes est limité à une dizaine, pour éviter de perturber le milieu et la reproduction des lucioles. Les gens viennent en famille, on pique-nique, on apprend à reconnaitre les insectes, à faire la différence entre taupins et lucioles, on explique le cycle de vie, qu’est-ce que la bioluminescence, la fluorescence et la phosphorescence ? Quelles sont les conséquences de certaines lumières sur leur terrasse la nuit pour les insectes ? On le fait de façon ludique pour les jeunes, avec de la peinture à visage phosphorescente, du light painting... Ça permet aux enfants de s’amuser et découvrir, et aux adultes d’approfondir certains sujets. On parle plus largement de la protection de la biodiversité et des milieux de Guadeloupe, des idées reçues, des pollutions, etc.
Q: On dit que les lucioles sont des espèces bioindicatrices, ça veut dire quoi ?
Une espèce bioindicatrice, c’est une espèce qui peut nous renseigner sur l’état de l’environnement : par exemple si on sait que telle espèce est sensible à la pollution du sol, on sait que si on la trouve à un endroit, ça veut dire que le sol y est peu pollué.
Toutes les espèces de lucioles du monde ne sont pas forcément de bonnes bioindicatrices, ça dépend de leur cycle de vie. En Guadeloupe, elles pondent dans le sol, donc la qualité du sol et de la litière est importante, si le sol est pollué, par des pesticides par exemple, ça nuit à leur cycle de reproduction. Les larves se nourrissent d’escargots, de limaces, voire de vers de terre. Si ces animaux sont contaminés, la larve le sera aussi et n’arrivera pas au bout de son cycle car elle est très sensible.
Les lumières extérieures perturbent leur communication, les adultes ne peuvent pas se retrouver avec leurs signaux lumineux et ne peuvent donc pas se reproduire.
Q: Quelles sont les autres causes de la disparition des insectes lumineux ? Pourquoi on observe-t-on moins qu’avant ?
Chez les insectes, il faut prendre en compte l’ensemble du cycle de vie. On a vu que la larve vit dans le sol donc tout ce qui perturbe le sol peut perturber la larve. Ensuite, elle fait son cocon - on l’appelle alors la pupe – à ce moment-là elle est très vulnérable au piétinement et à l’écrasement par des véhicules. Les adultes vivent souvent dans des espaces boisés ou arbustifs, donc la déforestation et l’arrachage des plantes locales détruisent les populations. Et puis il y a la pollution lumineuse : les lumières extérieures perturbent leur communication, les adultes ne peuvent pas se retrouver avec leurs signaux lumineux et ne peuvent donc pas se reproduire.
Quand on sensibilise aux insectes lumineux, on sensibilise aussi à tous les autres insectes. Si les gens tondent leur gazon à ras par exemple, c’est mauvais pour les lucioles, mais aussi pour beaucoup d’insectes. Pour les gens, les insectes sont souvent dangereux, car ils sont méconnus. On comprend bien que laisser des herbes hautes autour des maison risque d’attirer des bêtes moins sympas, comme les scolopendres, qu’on n’a pas envie de voir entrer dans les maisons ! Mais lorsque les jardins sont grands, il faudrait pouvoir laisser une petite partie non tondue, pour la biodiversité.
Q: Qu’indiquent les premières observations que vous avez recueillies ?
Le programme est récent, on a démarré en 2019, il faut le temps que l’information circule. La plupart des gens qui passent du temps dans la nature n’ont pas forcément le réflexe ou l’intérêt de venir signaler les petites bêtes, mais le nombre d’observations augmente petit à petit. Certaines personnes ne sont pas très précises sur les informations concernant le lieu, ils ont peut-être peur qu’on débarque dans leur jardin ! On les rassure, ce n’est pas du tout le cas.
La grande majorité des infos qu’on reçoit sont sur les espèces qu’on retrouve dans les jardins, dans les maisons ou en balade sur des altitudes basses ou moyennes, et qu’on peut voir plus facilement. Il y a une espèce de luciole endémique de Guadeloupe, Photinus discoideus qui est très peu connue. A priori elle vit sur les hauteurs, dans la forêt humide en altitude, là où il n’y a pas grand monde, donc forcément c’est limité au niveau des retours. Si on arrive à sensibiliser les promeneurs qui font des grands circuits, on pourrait avoir plus d’infos !
Q: L’observatoire pourrait s’étendre à d’autres territoires dans les Antilles et l’outre-mer ?
On a déjà eu des remontées d’infos issues de Saint Martin ou de la Martinique. On aimerait bien développer davantage le projet, mais on a déjà beaucoup à faire sur la Guadeloupe ! Quand on sera bien installés ici on pourra essayer de créer des partenariats avec des organismes dans les différents territoires, ce serait bien de développer l’observatoire sur tout l’outre-mer !
Pour en savoir plus sur le programme Ti bet a limiè, consultez le site internet d’An ba loup-la et accédez au formulaire de signalement des insectes lumineux. Vous pouvez également suivre les actualités sur Facebook.