Les chauves-souris, ou chiroptères, sont les seuls mammifères terrestres indigènes des Antilles françaises. Elles jouent un rôle essentiel dans leur habitat naturel (dissémination des graines, pollinisation, etc.). Elles participent ainsi à l’équilibre des écosystèmes qu’elles occupent. Toutefois, elles sont menacées par des pressions d’origine anthropique. En Martinique et en Guadeloupe, de nombreuses structures se sont donné pour objectif d’en apprendre plus sur ces animaux, en organisant un programme de surveillance. Ce programme a pour but de permettre une meilleure prise en compte de ces espèces dans les plans de gestion et les politiques publiques.
Pourquoi les surveiller ?
En Martinique, 11 espèces sont présentes, dont une est endémique stricte de l’île, ne se trouve donc nulle part ailleurs, le Murin de la Martinique (Myotis martiniquensis) et quatre sont endémiques des Petites Antilles. En Guadeloupe, on dénombre 14 espèces, dont une endémique stricte, la Sérotine de Guadeloupe (Eptesicus guadeloupensis), et 7 endémiques des Petites Antilles.
Parmi ces espèces, 9 espèces sont communes aux deux îles, qui abritent ainsi une grande diversité. Cette diversité se retrouve également dans leurs régimes alimentaires (frugivores, nectarivores, insectivores, piscivores) ou dans l’occupation de l’espace (mangroves, forêts ombrophiles, zones urbaines, etc.).
Toutes ces espèces sont protégées par l’arrêté du 17 janvier 2018 fixant la liste des mammifères terrestres protégés en Martinique et en Guadeloupe. La mutilation, la destruction ou encore la perturbation intentionnelle de ces espèces sont interdites. Pourtant, elles sont exposées à de nombreuses menaces anthropiques : dégradation et fragmentation de leurs habitats naturels, braconnage, pollution par les pesticides, prédation par des espèces exotiques envahissantes et domestiques, etc. De plus, en raison d’un cycle de reproduction lent, avec une maturité sexuelle parfois tardive et avec seulement un à deux petits mis bas par femelle chaque année, le taux d’accroissement des populations est faible.
En Guadeloupe, la moitié des espèces est en état défavorable de conservation d’après les listes rouges régionales (UICN) avec deux espèces quasi menacées, deux vulnérables, deux en danger et une en danger critique d’extinction. En Martinique, on trouve trois espèces quasi menacées. L’enjeu de conservation est donc majeur dans ces régions.
Sur chaque île, plusieurs acteurs agissent pour leur préservation (parc national, parc naturel régional, services de l’état, associations, etc.). Au fil du temps, des données sur les chiroptères ont été récoltées pour mieux connaître leur répartition, leur alimentation, leur cycle de vie ou encore pour localiser leurs gîtes (abris où ils se reposent et se reproduisent) pour mieux les protéger. Toutefois, les connaissances sur ces animaux sont encore insuffisantes.
Ainsi, il est urgent de renforcer et de structurer la surveillance de ce taxon de manière pérenne, en mobilisant les différentes techniques de suivi et un réseau d’acteurs dans le but d'améliorer les connaissances et de produire des indicateurs robustes, pour renforcer la prise en compte de ces espèces dans les plans de gestion et les politiques publiques.
Comment est né le projet ?
En 2022, l’Office français de la biodiversité (OFB) a diffusé l’Appel à Manifestation d’Intérêt « Développement de la surveillance de la biodiversité terrestre dans les outre-mer ». Plusieurs projets ont été sélectionnés, dont le projet CHIMAGUA.
Ce projet, lancé en 2023 pour une durée de trois ans, est porté par le Parc naturel régional de la Martinique (PNRM), en partenariat avec les services de l’État (DEAL de Martinique et DEAL de Guadeloupe), le Parc national de Guadeloupe (PNG), Ardops Environnement, l’Association pour la Sauvegarde et la réhabilitation de la Faune des Antilles (ASFA), l’UMR Centre d’Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO) et la Société Française pour l’Étude et la Protection des Mammifères (SFEPM).
L’objectif de ce projet est de renforcer et de structurer le réseau d’acteurs locaux afin de favoriser les échanges entre les deux régions et de renforcer la surveillance des populations locales de chiroptères. Les données ainsi mises en commun permettront d’acquérir plus de connaissances sur la répartition des espèces, leurs effectifs, leurs déplacements, ou encore leur cycle de vie.
Ce projet se veut fédérateur ! Il a pour ambition de coordonner les actions entre la Martinique et la Guadeloupe et de consolider les dynamiques locales, en mobilisant les acteurs. Qu’ils soient naturalistes indépendants, issus du milieu associatif, de bureaux d’études ou agents du parc national/naturel régional, il est nécessaire d’assurer un lien fort entre les acteurs des territoires et les structures nationales œuvrant pour la protection des chiroptères et les services biodiversité de l'État. Le projet CHIMAGUA permet à ces acteurs de disposer de formations techniques, de protocoles robustes, ainsi que de données validées et compilées.
Se former pour mieux les protéger
Un groupe de travail s’est rassemblé fin 2022 pour préparer les actions prévues dans le cadre du projet. La formation d’acteurs locaux est l’une de ces actions. Elle s’effectue tout au long du programme et est composée de trois volets : la formation à la capture des chiroptères, au suivi dans les gîtes et au suivi acoustique.
Une formation à la capture des chiroptères a ainsi eu lieu du 20 mars au 02 avril 2023 en Martinique puis en Guadeloupe. Une formation sur le terrain a été mise en place selon le référentiel national de la plateforme technique CACCHI - Coordination et Animation de la Capture des CHIroptères, CESCO & PatriNat (MNHN-OFB-IRD-CNRS) - et grâce à l’investissement bénévole de six formateurs de l’Hexagone et des Antilles-Guyane. Au préalable, un stage théorique en visioconférence avait permis de poser les bases concernant le cadre scientifique, éthique et technique de la capture.
Cette formation a permis à une trentaine d’acteurs d’avoir une première expérience en capture ou de se perfectionner, d’apprendre à maîtriser les bons gestes pour manipuler ces animaux fragiles en toute sécurité pour les chiroptères et les naturalistes.
De nombreuses données ont été récoltées au cours de ces sessions. En effet, la capture des Chiroptères au filet permet d’en apprendre plus sur les espèces en récoltant des données sur différents aspects tels que la répartition des espèces (certaines espèces ne pouvant être identifiées qu’en main) et leur zones de chasse, sur leur morphologie (poids, taille, etc.), ou encore sur leur cycle de vie et notamment les périodes de reproduction (statut reproducteur et âge sont vérifiés lors des manipulations). Cette méthode invasive, car elle provoque un dérangement des individus, offre des informations importantes que nous ne pouvons obtenir par ailleurs.
Il est à noter que les chiroptères sont intégralement protégés. Leur capture et manipulation nécessitent d’être habilitées (via la formation) et d’obtenir une dérogation par l’autorité compétente. Les captures effectuées au cours de la formation liée au projet CHIMAGUA ont donc été menées dans le cadre d’une dérogation « espèces protégées ».
Le recensement des chiroptères dans leurs gîtes est une méthode utilisée pour suivre les populations dans le temps et identifier les enjeux de protection. Cela permet d’une part de récolter des données pour caractériser les abris qu’ils occupent (grottes, cavités, feuillages, bâtiments, etc.) et d’autre part d’assurer une surveillance des effectifs dans le temps. Selon l’espèce, la sensibilité des colonies suivies, ou encore l’accès au site, les gîtes sont suivis de façon mensuelle, trimestrielle ou encore annuelle. Cette stratégie d’échantillonnage est également le fruit d’un travail dans le cadre du projet CHIMAGUA qui s’appuie sur les retours d’expérience et les connaissances déjà acquises par les différents acteurs du territoire.
Une formation au suivi de gîtes est donc nécessaire pour garantir un suivi sécurisé, basé sur des protocoles fiables et limitant au maximum le dérangement des colonies.
En juin 2023, des agents de différentes structures ont donc été formés en Martinique au suivi des gîtes. Ils ont pu prendre connaissance des différentes méthodes de comptage des effectifs et d’identification des espèces dans les gîtes.
Ils ont ensuite appris à maîtriser un outil numérique open source (Lizmap) qui a été paramétré pour relever les données standardisées au format SINP (Système d’information de l’inventaire du Patrimoine naturel). Les gîtes à chiroptères suivis figurent sur une carte interactive. L’outil permet d’entrer des observations à chaque visite d’un gîte et d’y indiquer différents éléments tels que les espèces présentes, les effectifs observés, ou encore la présence ou l’absence de juvéniles.
Cette formation s’est appuyée sur la charte de déontologie qui a préalablement été rédigée par un groupe de travail dédié dans le cadre du projet CHIMAGUA Les agents formés ont également été sensibilisés aux gestes indispensables pour limiter les risques de transmission de maladies. En effet, les chiroptères peuvent être porteurs de pathogènes potentiellement dangereux pour l’Homme, tel que le champignon Histoplasma capsulatum, responsable d’une maladie pulmonaire nommée Histoplasmose. À l’inverse, la transmission de pathogènes est également possible de l’Homme vers les chiroptères. Or, une telle transmission pourrait fortement impacter une colonie. La question de l’utilisation d’équipements de protection individuelle (masques, combinaisons, etc.) a donc aussi été abordée.
Enfin, un troisième type de formation a été proposée aux naturalistes : le suivi acoustique des Chiroptères. Cette technique permet d’identifier les espèces grâce à leurs signaux acoustiques issus de leur sonar qui sont enregistrés par des détecteurs à ultrasons.
Cette technique est incontournable pour inventorier les chauves-souris. Elle permet d’identifier les espèces présentes sans engendrer de stress ou de dérangement des colonies. Elle offre également des informations sur le comportement des individus, notamment à l’approche d’une proie ou à l’approche des obstacles présents dans leur milieu.
Une formation d’initiation a eu lieu par visio-conférence en décembre 2023 et sera complétée par des sessions de terrain pour que les naturalistes puissent découvrir et apprivoiser le matériel et l’analyse des sons.
La maîtrise de ces trois méthodes complémentaires est donc essentielle, et va permettre aux acteurs de Martinique et de Guadeloupe d’effectuer une surveillance méthodique, et de mettre en commun leurs connaissances pour une meilleure protection des chiroptères.
Quelles sont les attentes pour la suite ?
Le projet CHIMAGUA se déroule sur trois ans, mais le travail ne s’arrête pas là. Les suivis se poursuivront dans les deux régions. L’ensemble des actions menées assurera ainsi une meilleure connaissance de l’état des populations de chiroptères, qui sera valorisée dans de futurs projets de conservation.
Les données récoltées et mises en commun seront utilisées pour mieux prendre en compte les enjeux chiroptères dans les plans de gestion et les politiques publiques, afin de concilier activités humaines et préservation des chiroptères.
Projet co-financé par l'Office français de la biodiversité, dans le cadre de l'AMI pour le développement de la surveillance de la biodiversité terrestre dans les Outre-mer 2022.
Pour en savoir plus, sur les chauves-souris de Martinique et de Guadeloupe et sur le projet CHIMAGUA, rendez-vous sur les sites de l’Observatoire Martiniquais de la Biodiversité (OMB) et du Parc national de Guadeloupe (PNG).
Relecture : Comité restreint CHIMAGUA