Ce mardi 25 février 2025, suite au passage du cyclone Chido, une loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte est parue au Journal Officiel. Pourtant, un silence préoccupant entoure un enjeu majeur pour l’avenir de l’île : celui de la biodiversité. En réponse, les initiatives collectives et les prises de parole se multiplient pour alerter les décideurs et l’opinion publique.
« Pour que l’urgence humanitaire à court terme ne masque pas l’importance de la restauration des milieux naturels de l’île garants de sa viabilité à long terme ».
Ainsi s’ouvre la Tribune publiée le 4 février 2025 par 15 associations environnementales. Leur appel a été largement relayé par les scientifiques, gestionnaires et experts de la biodiversité, unanimes sur un constat alarmant : le patrimoine naturel de Mayotte a été durement frappé par le cyclone Chido et il est le grand absent des discours officiels sur la reconstruction.
Un point sur l’état de la biodiversité de « l’après Chido »
Sur le terrain, les premiers constats sont sans appel : la destruction des forêts et des mangroves est radicale et entraîne des conséquences en cascade. L’absence d’arbres, de fruits, de fleurs met en péril les espèces pollinisatrices et frugivores comme les roussettes et les makis. Les sols sont mis à nus ce qui favorise l’érosion, accélère l’envasement du lagon et met en péril les écosystèmes marins. Certes, les forêts sont naturellement résilientes, mais les milieux nouvellement ouverts risquent de laisser place aux coupes et aux incendies volontaires pour l’occupation de nouvelles terres agricoles. C’est aussi un boulevard pour la propagation des espèces exotiques envahissantes. En outre, une reprise mal maîtrisée de l’urbanisation fragiliserait la connectivité des habitats naturels, avec des effets directs sur la vie quotidienne des Mahorais : glissements de terrain, îlots de chaleur, qualité de l’air…
La destruction des forêts et des mangroves est radicale et entraîne des conséquences en cascade.
« Comment cultiverons-nous si nous perdons une grande partie de nos pollinisateurs ? Qu'en sera-t-il de la pêche si le lagon s'envase et qu'il n'y a plus de poissons ? Quelle eau boirons-nous si, privés de la végétation qui les borde, nos cours d'eau s'assèchent et deviennent trop pollués ? » s’interroge l’association Mayotte Nature Environnement (MNE).
L’association GEPOMAY qui travaille depuis plusieurs années pour la conservation du crabier blanc (un petit héron en danger d’extinction) dans le cadre d’un projet Life financé par l’Europe, fait le dur constat de populations décimées par le cyclone. « Tu penses à chaud que ces années de travail ont été balayées en quelques heures. Et puis finalement tu te dis après coup, que cela aurait été encore plus catastrophique sur les 150 couples de Crabiers blancs qu’il y avait 6 ans plus tôt, que sur les près de 600 couples estimés après nos années d’action. » publie Emilien Dautrey, directeur du GEPOMAY, sur les réseaux sociaux.
Tu penses à chaud que ces années de travail ont été balayées en quelques heures.
En mer, les récifs coralliens avaient déjà été fragilisés par un épisode de blanchissement massif en mars-avril 2024, causant 30 à 80 % de mortalité selon les sites. Sur les coraux qui étaient restés vivants, Gabriel Barathieu, président de l’association Deep Blue Exploration (DBE), évalue les pertes liées au cyclone à 10-30 % supplémentaires. « Les récifs coralliens ont payé un lourd tribut en 2024, c’est indéniable. Sur le terrain, nous observons des zones très fortement affectées, tandis que d’autres sont restées presque intactes. Certains paysages sous-marins sont lunaires mais conclure à une destruction totale des récifs par le cyclone serait une erreur. Il faut rappeler l’impact majeur de l’épisode de blanchissement avant Chido. » souligne-t-il.
Certains paysages sous-marins sont lunaires mais conclure à une destruction totale des récifs par le cyclone serait une erreur.
La reprise des actions sur le terrain
À Mayotte, le 14 décembre a marqué le début de longues semaines de sidération, d’inquiétude et de tristes constats. Mais à l’image de la population mahoraise, les associations locales de protection de l’environnement se sont rapidement mis en action sur le terrain. Déblayer les sites en gestion, nettoyer et réhabiliter les plages et les sentiers, effectuer des plongées en mer pour évaluer les dégâts : des actions rendues possibles grâce à la solidarité locale et l’implication de nombreux bénévoles.
Pour favoriser cette dynamique, plusieurs initiatives se concentrent sur la mobilisation de la population locale. Citons notamment la carte interactive créée par la DEAL de Mayotte, MNE, le réseau EEDD et la FMAE pour recenser les chantiers nature qui font appel à des bénévoles.
… des actions rendues possibles grâce à la solidarité locale et l’implication de nombreux bénévoles.
Par ailleurs, la campagne de communication « Maoré a dit » permet de sensibiliser la population sur les gestes à adopter pour aider la biodiversité.
Mais au-delà des indispensables actions « de premiers secours », un enjeu décisif sera celui de la coopération entre les acteurs du territoire et de la structuration des actions à l’échelle de l’île. D’ores-et-déjà, des groupes de travail permettent aux spécialistes de dialoguer et de se positionner sur des actions stratégiques.
Interpeler, alerter, planifier
Les voix s’unissent pour interpeler les pouvoirs publics sur les questions environnementales : l’absence de prise en compte de la biodiversité tout comme la mise en œuvre de « fausses bonnes solutions » seraient catastrophiques pour l’avenir. En réponse à la loi d’urgence et à la création d’un futur établissement public dédié, le Comité française de l’UICN souligne la nécessité de s’appuyer sur les experts techniques et scientifiques, et de prendre en compte l’avis de la population locale.
L’absence de prise en compte de la biodiversité tout comme la mise en œuvre de « fausses bonnes solutions » seraient catastrophiques pour l’avenir.
Dans cette perspective de planification cohérente et concertée, la Tribune du 04 février suggère la création d’une instance de coordination sous l’égide du Comité de l’Eau et de la Biodiversité. Parmi les actions prioritaires à mener, les signataires identifient :
- Le diagnostic précis des dégâts
- La dépollution et la gestion des déchets et des eaux usées
- La surveillance accrue des milieux naturels
- La mise en place de plans d’urgence pour les espèces en danger
- La restauration des habitats naturels en priorisant la régénération naturelle et la relance des pépinières locales
- La mobilisation et l’implication de la population.
Actuellement, les acteurs de la biodiversité travaillent conjointement, notamment avec des architectes, pour publier un document transversal d’analyses et de propositions : Regards croisés sur les impacts du cyclone Chido à Mayotte. Parmi les réflexions, figure l’intégration de corridors écologiques dans les projets de (re)construction afin d’éviter les dérives du "tout-béton" et pour favoriser la nature dans les aménagements urbains de demain.
L’espoir réside dans la vision d’un « Mayotte en mieux » : une île plus viable et durable, capable de répondre aux besoins essentiels de ses habitants tout en assurant l’épanouissement harmonieux des vies humaines et non humaines. Une île où la quiétude et la dignité s’inscrivent dans une perspective de long terme. Ce renouveau ne pourra toutefois se concrétiser qu’à la condition d’accorder à la biodiversité la place qu’elle mérite : celle d’un pilier essentiel du développement et de la résilience.
Pour en savoir plus, consulter les messages portés par les acteurs de l’environnement :
- Tribune du 04 février
- Tribune du Comité français de l’UICN
- « Regards croisés sur les impacts du cyclone Chido à Mayotte » sera disponible dans les ressources du site web du GEPOMAY
Découvrir la loi d’urgence pour Mayotte du 25 février sur le site légifrance.
Agir sur le terrain :
- Carte interactive sur les initiatives et chantiers natures
- Campagne de communication sur les bons gestes - via le Facebook @Maoréadit
Soutenir financièrement les associations locales :
- Réparer l’environnement - Cagnotte de Mayotte Nature Environnement
- Soutenir la protection des tortues marines - Cagnotte de Oulanga Na Nyamba
- « Mayotte, l’odyssée bleue » - Livre photo de Deep Blue Exploration
En savoir plus sur l’état de santé de la biodiversité mahoraise post-cyclone :
- Impact du cyclone Chido sur les récifs coralliens - Article de l’IRD
- Restauration des forêts de Mayotte post-Chido - Article The Conservation
- Etat de la biodiversité un mois après Chido - Reportage FranceInfo