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La « plume olfactive » : des odeurs pour guider les tortues marines

Par Marine Didier - MNHN - Publié le 6 févr. 2023
Tortue Luth © OFN Guadeloupe

Tortue Luth © OFN Guadeloupe

Comment songer à la faune terrestre et marine des Antilles, sans penser aux tortues ? Leurs va-et-vient sur les plages de Guadeloupe, Martinique, St Barth’ et St Martin, émaillent, presque toute l’année, le quotidien des Antillais. On connaît leur appétence pour les plages de sable fin où l’on retrouve leurs nids, mais quelle relation entretiennent-elles avec la végétation littorale et … avec les odeurs qui en émanent ?

Pour pondre, les tortues ont besoin de plages de sable. Sous cette évidence se cache un premier dilemme. Avec le changement climatique, les plages des îles de la Caraïbe sont de plus en plus soumises aux aléas climatiques et sont peu à peu grignotées par les vagues et l’érosion. Avec la diminution de l’étendue des plages, ce sont les aires de ponte qui sont en train de se restreindre.
C’est là que la végétation de haute plage tire une première fois son épingle du jeu. « Lorsque l’on parle de « végétation de haut de plage » aux Antilles, l’on fait référence aux plantes rampantes (Patate- Bord de Mer, Pourpier ou encore Amarante bord-de-mer), aux buissons (Romarin blanc par exemple) ou encore, située tout en haut de la plage, à la végétation arborée (Raisiniers et Pruniers bord-de mer ou encore Catalpas) », précise Mike Hélion, botaniste, qui organise notamment des animations de sensibilisation à cette thématique, pour l’association guadeloupéenne Kap Natirel. Ces espèces participent au maintien du sable par le biais de leur système racinaire, elles piègent également les grains qui, lorsqu’ils sont emportés par le vent, viennent percuter leurs troncs et leurs feuilles pour mieux se retrouver coincés à leurs pieds. La végétation de haute plage maintient donc un habitat nécessaire à la ponte, et ce n’est pas là son seul prodige…

La température d’un nid détermine le sexe des embryons de tortues : en dessous de 29°C les embryons seront principalement des mâles, au-dessus de 30°C, ce seront majoritairement des femelles.

Une étude effectuée par Camryn Allen, publiée dans Current Biology en janvier 2018, démontre qu’en Australie, avec le réchauffement climatique, la température des nids a tant augmenté qu’elle a conduit à un accroissement significatif des femelles dans les populations de tortues vertes. Cette tendance pourrait apporter un déséquilibre sur le plus long terme. Une raison supplémentaire pour choyer la végétation de haut de plage, qui procure un ombrage salvateur, permettant de préserver les nids de températures trop élevées !

Les odeurs émanant de cette végétation permettraient aussi aux tortues de… se repérer : on parle alors de « plume olfactive ».

C’est ce que l’on apprend dans l’ouvrage, « Les tortues marines » de Jérôme Bourjea, Hendrik Sauvignet et Stéphane Ciccione. Cette trainée d’odeurs emportée par les vents à la surface de l’océan permettrait aux tortues imbriquées et aux tortues vertes (deux des trois espèces de tortues que l’on retrouve dans les Antilles, avec la tortue luth) de retrouver leur plage de naissance. Quand les tortues juvéniles émergent, elles enregistrent un certain nombre d’information : la texture du sable et même, quand l’émergence se fait de nuit, l’emplacement des étoiles. A l’instar des saumons, qui peuvent reconnaitre la composition chimique de l’eau dans laquelle ils ont grandi, les tortues parviendraient aussi à reconnaître la plage de leur naissance grâce à tout un cortège d’informations olfactives.


Les tortues marines ont beau passer le plus clair de leur temps dans l’eau, les périodes charnières de leur existence que sont la naissance et la ponte, se font sur terre. Préserver le bon état écologique de la végétation de haute plage est donc primordial si l’on souhaite continuer à apprécier le va-et-vient du reptile iconique de la Caraïbe.

Tortillon rejoignant la mer © Marine Didier

Tortillon rejoignant la mer © Marine Didier

Pour aller + loin :

Ouvrages :
Bourjea J., Sauvignet H., Ciccione S.(2017). Les tortues marines, 70 clés pour comprendre. Collection : Clés pour comprendre.
Camryn D.Allen and all (2018). Environmental Warming and Feminization of One of the Largest Sea Turtle Populations in the World. Current Biology, Volume 28.
Site web :
Réseau tortues marines des Antilles : https://www.tortues-marines-antilles.org/
Kap Natirel : https://kapnatirel.org/

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