"Grâce aux élèves, nous allons découvrir une biodiversité encore inconnue en Guyane"
Propos recueillis par Hugo Struna - Publié le 9 nov. 2021Marilou Hircq, ingénieure au CNRS, coordinatrice du projet BUG
En Guyane, on ne s’intéresse pas qu’aux caïmans et aux jaguars ! Le projet BUG (Biodiversité Urbaine de Guyane) mobilise des centaines d’élèves depuis janvier pour inventorier les fourmis et les champignons. A l’école et chez eux.
Marilou Hircq, ingénieure au CNRS, coordonne ce projet de sciences participatives unique dans cette région d’Outre-mer.
Q: Vous avez passé une partie des vacances scolaires à identifier les centaines d’échantillons de fourmis envoyés par les jeunes guyanais. Comment en êtes-vous arrivée à mobiliser tous ces naturalistes en herbe ?
Tout est parti du projet BING, mené dans une trentaine de classes entre 2016 et 2019 dans toute la Guyane. L’objectif était de faire découvrir aux écoliers la biodiversité commune, mal connue et « négligée », celle qui pourtant les entoure, dans leur école, dans leur ville, à la maison parfois. Pour cela deux chercheurs du CNRS et de l’INRAE, Jérôme Orivel et Heidy Schimann, ont choisi comme porte d’entrée deux groupes d’animaux dont ils sont spécialistes : respectivement les fourmis et les champignons. Ils ont proposé aux enseignants des activités pour faire découvrir des espèces fascinantes, susciter l’intérêt et sensibiliser par la pédagogie. Cette campagne fut un succès, tant auprès des élèves que des enseignants, ce qui a fait naître un projet plus ambitieux : l’acquisition de données. Cette biodiversité, surtout dans les milieux urbains, reste extrêmement mal décrite. Peu de missions de terrains ont eu lieu dans les petites communes et dans les agglomérations comme Kourou. Quelles espèces de fourmis et de champignons y vivent ? Certaines espèces sont-elles potentiellement envahissantes ? Comment réagissent-elles aux activités humaines ? Mettre les écoliers à contribution pour dresser un état des lieux de cette biodiversité, par ailleurs facilement observable, répondait à une nécessité à la fois pédagogique et scientifique. Le projet BUG (Biodiversité Urbaine de Guyane) est né. Nous avons lancé un appel à participation auprès de tous les établissements de Guyane, et en deux jours nous étions submergés de réponses positives. Depuis le lancement en janvier, plus de 400 élèves y ont participé, du CM1 à la 3ème.
En Guyane, une faune invertébrée abondante et peu documentée : 15 000 espèces d’insectes sont connues en Guyane, mais les scientifiques estiment qu’il pourrait y en avoir plus de 80 000. Parmi les espèces d'insectes décrites, 650 sont des fourmis, mais 80 % restent probablement à découvrir.
Pour les champignons, on parle de 2 800 espèces identifiées, pour 50 000 estimées présentes.
Q: La prise de contact avec la classe se fait par une intervention, au cours de laquelle vous partagez quelques révélations sur les champignons et les fourmis de Guyane. Un exemple ?
Raconter des histoires étonnantes est le meilleur moyen d’intéresser les élèves. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les fourmis et les champignons de Guyane n’en manquent pas ! Connaissez-vous les fourmis zombies ? Certaines fourmis se font parasiter par un champignon, le Cordyceps. Après avoir colonisé les muscles de l'insecte, le champignon s’attaque au cerveau. Il prend alors le contrôle de la fourmi. Comme une marionnette. Son objectif : conduire la fourmi en haut d’une branche, avant de l’achever et pouvoir disséminer ses spores le plus loin possible. Autres phénomènes : les fourmis tac-tac. Elles se caractérisent par de grandes mandibules disposant de poils ultra sensibles. Lorsque l’insecte chasse à l’affût et qu’une proie, une sauterelle par exemple, a le malheur d’effleurer un de ces poils, les mandibules se referment sur elle à une vitesse vertigineuse : 225 km/h ! C’est le mouvement le plus rapide du monde animal. Cela provoque un claquement, d’où son nom. En général ces histoires marquent les élèves. Surtout lorsqu’on leur apprend que ces espèces vivent autour d’eux…
Q: Quelle relation ces jeunes entretiennent-ils avec la biodiversité commune, en particulier les fourmis et champignons ?
En Guyane c’est assez différent de la métropole. Nous n’avons pas la culture de la cueillette. Il faut dire qu’hormis la chanterelle de Guyane il y a très peu de champignons destinés à l’alimentation, ceux que nous mangeons proviennent de Chine ou d’Europe. Les élèves découvrent généralement que les moisissures, omniprésentes ici en raison de la forte humidité, en font partie. Quant aux fourmis, si elles accompagnent tout le monde au quotidien jusque dans les foyers, les connaissances varient fortement selon les écoles. A Camopi, village amérindien, les élèves se montrent beaucoup plus à l’aise. Les fourmis occupent une place importante dans leur culture. On utilise par exemple quelques grosses espèces comme les « balles de fusils » pour la vannerie, le tressage des feuilles. Lors du rituel du passage à l’âge adulte, le Maraké, on en dispose sur le corps du jeune qui doit résister aux piqûres. Ces enfants partent avec moins d’appréhension. Cela ne veut pas dire que les autres n’accrochent pas. La grande majorité des élèves finit par se prendre au jeu. La « chasse au fourmis » avec les enseignants provoquent une véritable excitation. Ils s’éclatent. Un élève a réussi à trouver une fourmi zombie dans la cour de l’école, on avait l’impression qu’il découvrait un trésor ! Ce qui, vu sa rareté, en était un petit. Les fourmis tac-tac sont plus fréquentes, et font de la même manière l’objet d’une fascination partout où je me rends.
L’idée est que les élèves reproduisent l’échantillonnage chez eux, afin d’accroître de nombre d’échantillons dans toute la commune.
Q: Vous parlez de « chasse au trésor ». Comment se passe précisément la partie pratique ?
Nous avons réalisé des protocoles de collecte simplifiés que les élèves mettent en place dans l’enceinte de l’école, avec l’enseignant. Les fourmis sont récupérées à l’aide d’une pince souple puis mises dans un tube contenant de l’éthanol dilué. Une fois prélevés, on les passe sous la loupe binoculaire pour une séance d’observation minutieuse. Pour les champignons, on collecte simplement un peu de terre dans un sachet. Les chercheurs se chargeront ensuite de déterminer les espèces présentes grâce à la détection d’ADN. Mais la pratique ne s’arrête pas là ! L’idée est que les élèves reproduisent l’échantillonnage chez eux, afin d’accroître de nombre d’échantillons dans toute la commune. Nous récupérons ensuite tous les échantillons pour analyse. J’ai en ce moment en ma possession des organismes provenant de tout le territoire, dans des milieux très diversifiés. Certains ont été prélevés dans de petites communes très isolées comme Camopi au bord fleuve, accessible qu’en pirogue il y a encore peu de temps. Il y a aussi les grandes villes comme Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni ou Cayenne. Des villes côtières, forestières. Des maisons, des appartements de centre-ville. En quatre mois, nous avons reçu pas loin de 500 échantillons issus de 11 communes. Grâce aux élèves nous allons découvrir une biodiversité encore inconnue en Guyane.
Q: Quel est l’avenir de ces données ? Que pourront nous apprendre tous ces prélèvements ?
J’ai déjà pu identifier 107 espèces et 39 genres. Certaines étaient attendues, d'autres non. Certaines de ces espèces ne viennent pas de Guyane et ont un fort potentiel envahissant. Pour le sol, un ingénieur en bioinformatique est en train d’extraire l’ADN présent dans les échantillons. Nous attendons les résultats. Après le traitement de ces données, on pourra commencer à envisager différents types d’exploitations. Une cartographie des espèces est prévue, probablement des articles sur les espèces envahissantes. Ces données pourront servir d’expertise de terrain aux gestionnaires et décideurs s’ils souhaitent mettre en place des mesures de gestion au sein de leur commune. Le programme devrait aussi évoluer dans les mois qui viennent. Nous allons publier très prochainement notre site web (www.biodiversiteguyane.cnrs.fr), participer à des évènements, l’objectif étant de capter aussi un public non scolaire.
Notre objectif fin 2022, date de clôture du projet, serait de parvenir à 3000 échantillons. C’est un idéal. Reste la sensibilisation de la population, l’autre grand volet du programme. Nous avons déjà fait du chemin. Il paraît que la nièce d’une collègue devenue passionnée à la suite du programme, raconte des histoires de fourmis à toute sa famille. Elle a étonné tout le monde en prononçant le nom d’une espèce qui passait à la télé. Une petite anecdote – parmi d’autres - qui font penser que notre travail porte ses fruits.
Pour en savoir plus, contactez Marilou Hircq marilou.hircq@ecofog.gf.