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Le compagnonnage Te Me Um, un programme de formation original

Par Doriane Blottière - Publié le 2 mars 2022
Echanges sur le terrain entre la SEOR et le GEPOMAY © SEOR

Echanges sur le terrain entre la SEOR et le GEPOMAY © SEOR

Le système de compagnonnage mis en place par le programme Te Me Um permet aux acteurs de la préservation de la biodiversité ultramarine d’échanger leurs expériences sur le terrain, et ainsi de se former ou se perfectionner par une rencontre. Présentation de ce dispositif original à travers les expériences de la Société d’étude ornithologique de La Réunion (SEOR).

Les territoires ultramarins ont en commun de nombreuses problématiques de conservation de la biodiversité, liées par exemple à l’insularité ou au climat, à la présence de nombreuses espèces endémiques souvent menacées, ou encore aux mêmes espèces exotiques envahissantes. Si la collaboration à distance est possible, elle connait de nombreuses limites, et rien ne remplace les échanges directement sur le terrain, pour se former, partager des expériences et réfléchir ensemble aux solutions adaptées à chaque territoire.


Pour répondre à ce besoin, l’Office français de la biodiversité a mis en place le programme de compagnonnage Te Me Um, un système d’échanges et d’immersion professionnelle qui permet à un.e professionnel.le d’être accueilli.e dans un autre territoire pour rencontrer un.e expert.e du domaine dans lequel il.elle souhaite se perfectionner. Une soixantaine de projets de ce type ont été financés depuis 2009. Nous proposons ici un focus sur les missions réalisées par la Société d’étude ornithologique de La Réunion (SEOR), qui a bénéficié de ce programme à plusieurs reprises.

Grâce à ce compagnonnage nous avons pu concevoir une structure d’accueil adéquate pour les chiroptères.

Se former au soin des chiroptères avec le centre de soin de Maurice


Depuis 1997, la SEOR a mis en place un réseau de sauvetage de la faune sauvage en détresse de La Réunion. Elle dispose depuis 2009 d’un centre de soin qui fonctionne aujourd’hui avec deux capacitaires. Les animaux recueillis sont en grande majorité des oiseaux, en particulier des oiseaux marins (80 %) comme le Pétrel de Barau (Pterodroma baraui), endémique de l’île, dont les jeunes sont souvent désorientés par les lumières urbaines lors de leur premier envol.


Deux premiers compagnonnages avaient été réalisés en 2013 et 2014, avec le centre de soin de l’Île-Grande en Bretagne et d’Audenge en Aquitaine, afin d’échanger sur les soins et les infrastructures nécessaires pour les oiseaux marins, ainsi que la partie administrative liée à l’accueil d’animaux sauvages.
Cependant, ces dernières années, de plus en plus de chauves-souris ont été recueillies au centre. En effet, trois espèces de chiroptères sont présentes sur l’île de La Réunion : deux espèces de petite taille, le Petit molosse (Mormopterus francoismoutoui), endémique de l’île, et le Taphien de Maurice (Taphozous mauritianus), et une espèce de grande taille, la Roussette noire (Pteropus niger) endémique des Mascareignes. Cette dernière était considérée disparue de l’île jusqu’en 2007, où elle serait revenue depuis Maurice en faveur d’évènements climatiques particuliers, mais ses populations restent très limitées. Toutes les trois sont protégées (arrêté ministériel du 17 février 1989).


En novembre 2015, la SEOR a donc développé une extension chiroptère dans le but d’accueillir les chauves-souris en détresse, victimes principalement de collisions avec des véhicules, de prédation et d’empoisonnements secondaires. Cependant, les soigneuses ne disposaient pas des connaissances nécessaires pour l’accueil et les soins de ces animaux. Elles ont donc profité de l’opportunité de Te Me Um pour effectuer un 3e compagnonnage en 2016, cette fois avec le centre Gérald Durrell, à l’île Maurice.


«Au vu de notre manque d’expérience dans l’accueil de chiroptères, nos objectifs étaient principalement d’acquérir des réflexes adéquats à avoir avec les chauves-souris sauvages, des informations sur les types d’infrastructures nécessaires pour leur bon accueil et une expérience dans la mise en place de protocoles de diagnostics et de nourrissages. » témoignent Julie Tourmetz, responsable du centre de soin, et Samantha Renault, son adjointe. «Toutes les connaissances acquises vont être adaptées au centre de soins de la SEOR. Grâce à ce compagnonnage nous avons pu concevoir une structure d’accueil adéquate pour les chiroptères. »

Nourrissage d'une chauve-souris © SEOR

Nourrissage d'une chauve-souris © SEOR

Et les échanges ne se sont pas limités à l’accueil des chauves-souris : les soigneuses ont aussi pu acquérir de l’expérience sur l’incubation artificielle d’œufs, parfois apportés au centre de soin, et l’élevage de jeunes oiseaux, et s’inspirer de l’aménagement du centre, comme le complète Julie Tourmetz : « Le centre de soins Gérald Durrell possède une structure de volières vraiment exemplaire. Nous retenons les bonnes idées d’aménagements extérieurs pour nos futurs travaux. »


Depuis 2015, la SEOR a pris en charge 33 chauves-souris, majoritairement des petits molosses. Vingt ont pu être sauvés et relâchés. Avant le compagnonnage, le succès de sauvetage annuel était en moyenne de 30 %. Suite au compagnonnage et à la mise en place des acquis obtenus, il avoisine les 70 % depuis 2018.

L’explication des dispositifs mis en place à Tahiti a permis les transposer à La Réunion en les adaptant à nos contraintes

Bénéficier de l’expérience de la Polynésie française dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes


En 2019, c’est en direction de la Polynésie française que s’est envolé Damien Fouillot, référent pour la conservation de l’Échenilleur de La Réunion (Lalage newtoni) à la SEOR. Cet oiseau endémique, appelé localement Tuit-Tuit en raison de son chant, ne se trouve que dans les forêts du massif de la Roche Écrite au nord de l’île. Il est en danger critique d’extinction, menacé notamment par les prédateurs exotiques envahissants tels que les chats et les rats, ainsi que par la compétition avec le Bulbul orphée (Pycnonotus jacosus), un oiseau introduit également envahissant.


En Polynésie française, c’est un autre oiseau, le Monarque de Tahiti (Pomara nigra), qui connait la même problématique : endémisme, prédateurs introduits, danger critique d’extinction. Sur place, l’association SOP Manu met en place des actions pour la conservation de cet oiseau depuis de nombreuses années, qui permettent une augmentation progressive des effectifs.

Fresque représentant le Monarque de Tahiti en Polynésie française © SEOR

Fresque représentant le Monarque de Tahiti en Polynésie française © SEOR

L’objectif de ce compagnonnage était donc pour la SEOR de bénéficier de l’expérience de la SOP Manu dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, afin de définir les modalités techniques et financières d’un plan de lutte contre ces espèces, pour la conservation de l’Échenilleur de La Réunion.


Damien Fouillot explique : « Nous avons pu discuter des avantages et des contraintes des méthodes employées, en conditions réelles. Chaque site ayant ses propres caractéristiques, en termes d’accessibilité par exemple, ou des espèces présentes. L’explication des dispositifs mis en place à Tahiti a permis de transposer ces opérations sur le terrain à La Réunion en les adaptant aux contraintes des sites de nidifications de l’échenilleur.»
Il complète : « Les résultats de ce compagnonnage ont nettement dépassé notre objectif initial ! Cette expérience nous a permis d’aboutir à un plan de lutte « chats et bulbul », développé dans le cadre du programme LIFE BIODIV’OM, en faveur de la conservation de l’Echenilleur de La Réunion. ».


L’espèce n’est pas encore sortie d’affaire mais les résultats sont encourageants : le nombre de couple identifiés de Tuit-Tuit est passé de 37 en 2018 à 48 en 2021.

Nous avons décidé de prendre exemple sur le modèle de La Réunion

Partager son expérience du suivi des oiseaux communs avec une association mahoraise


Pour le dernier compagnonnage en date, c’est cette fois l’association mahoraise GEPOMAY qui a fait appel à l’expertise de la SEOR, en 2020. Le GEPOMAY souhaitait mettre en œuvre à Mayotte le programme STOC, le Suivi temporel des oiseaux communs. Ce programme de sciences participatives est conçu pour évaluer les variations temporelles de l’abondance des populations nicheuses d’oiseaux communs. Il est basé sur des points d’écoutes localisés selon un plan d’échantillonnage précis, et effectués par des bénévoles ou partenaires formés à la reconnaissance des chants d’oiseaux.

Echanges autour du protocole du STOC © SEOR

Echanges autour du protocole du STOC © SEOR

Cependant, le programme tel qu’il est mis en place en métropole, testé pendant quelques années, ne s’est pas avéré adapté au territoire mahorais. Les besoins du GEPOMAY étaient donc de bénéficier de l’expérience de la SEOR, qui coordonne le STOC à La Réunion depuis 2012 et qui a dû faire face aux mêmes problématiques initiales lors de sa mise en place. Le GEPOMAY souhaitait bénéficier de l’expertise et des conseils de la SEOR pour adapter le protocole aux spécificités de Mayotte, et pouvoir recruter et former un réseau d’observateurs.


Nicolas Laurent, en charge du STOC pour la SEOR, est donc venu en mars 2020 former les agents du GEPOMAY à la mise en place de ce dispositif. Emilien Dautrey, directeur du GEPOMAY, témoigne « Le retour d’expérience de la SEOR nous a énormément aidé et cela a permis de compléter les premiers axes de réflexion engagés en 2019. »


L’expérience de la SEOR a en effet permis de faire des choix dans le protocole d’étude : « Nous avons notamment décidé de prendre en compte moins d’habitats que prévus (les forêts, le milieu agricole et le milieu urbain) mais en caractérisant le couvert végétal pour le milieu agricole, qui semble influencer le cortège d’espèces d’oiseaux, et en indiquant si des espèces exotiques envahissantes sont présentes dans les forêts. Nous avons également décidé de prendre exemple sur le modèle de La Réunion en considérant des itinéraires sur lesquels se trouvent les 10 points d’écoute, contrairement à ce vers quoi le GEPOMAY s’orientait initialement à savoir des carrés avec 10 points à l’intérieur, comme c’est le cas en métropole. »

Fiche utilisée pour le suivi des oiseaux © SEOR

Fiche utilisée pour le suivi des oiseaux © SEOR

Emilien Dautrey termine : « Les nombreux supports de formation utilisés par la SEOR nous ont été utiles pour réaliser nos propres supports, comme des fiches espèces pour aider les observateurs à reconnaitre les oiseaux communs et une sonothèque sur le site internet. Neuf premiers observateurs se sont portés volontaires pour 2021 et ont été formés fin 2020. Ils sont tous motivés pour réaliser ces suivis sur le long terme ! »


Un nouvel appel à compagnonnages Te Me Um a été lancé le 1er mars 2022, les candidatures sont ouvertes jusqu’au 9 mai 2022. Retrouvez toutes les informations sur le site du programme Te Me Um.

Te Me Um

Te Me Um

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