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Les chauves-souris mises sur écoute à La Réunion

Par Hugo Struna - Publié le 9 mai 2022
Taphiens de Maurice (*Taphozous mauritianus*) © Gildas Monnier - GCOI
Taphiens de Maurice (Taphozous mauritianus) © Gildas Monnier - GCOI

Le Groupe Chiroptères Océan Indien (GCOI) intègre le réseau de science participative du Muséum national d’Histoire naturelle Vigie-Chiro. L’objectif : étudier les ultra-sons des chauves-souris pendant plusieurs années pour obtenir des tendances de populations.

C’est une première pour le programme de sciences participatives Vigie-Chiro. Créé en 2006 par des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, sa gigantesque base de données acoustique contenant des ultrasons de chauves-souris en provenance de toute la métropole vient de recevoir les ondes les plus lointaines de son histoire, captées sur les terres volcaniques de La Réunion. « Nous avons placé des enregistreurs dans des zones où sont déjà menées des études sur les chauves-souris, explique Gildas Monnier, coordinateur du projet sur l’île. Nous espérons ainsi en apprendre davantage sur les espèces communes et pourquoi pas suivre leur évolution dans le temps


L’ornithologue breton, formé sur le tard à la capture des chiroptères (nom scientifique pour désigner les chauves-souris) puis à l’acoustique lors d’un passage en bureau d’étude, fonde en 2015 le Groupe Chiroptères Océan Indien. Cette année-là, il débarque sur l’île de Mayotte pour une campagne de terrain portée par la SFEPM (Société française pour l'étude et la protection des mammifères) et la DEAL de Mayotte. Les objectifs de cette mission inédite ? Etudier la répartition des espèces connues dans l’archipel, rechercher les espèces présentes sur les îles voisines et définir les niveaux d’activités. Pour entrer en contact avec ces mammifères nocturnes, ni capture, ni prospections à l’œil nu, mais la seule écoute des écholocations.

Chaque espèce a une signature acoustique propre.

A la manière d’un sonar, les petites chauves-souris insectivores émettent des ultrasons pour chasser et se repérer dans l’espace. En s’installant sur des zones stratégiques avec des détecteurs adaptés, autours de lacs artificiels notamment, les naturalistes ont pu immortaliser 160 heures d’activités. Chaque espèce ayant une signature acoustique propre, deux ont montré leur présence au cours de la mission à Mayotte. « Nous avons tiré de nombreuses informations sur la répartition du Taphien de Maurice (Taphozous mauritianus) et celle d’une espèce endémique, la Tadaride (Chaerephon pusillus). Mais nous avons également eu la surprise de détecter un nouveau signal, encore inconnu, ce qui nous laisse penser qu’une nouvelle espèce est présente sur l’île.» rapporte Gildas Monnier. Les analyses sont toujours en cours pour confirmer la nouvelle et le cas échéant connaître l’espèce en question.

Capteur fixe permettant d'enregistrer les ultrasons émis par les chauves-souris © Gildas Monnier - GCOI
Capteur fixe permettant d'enregistrer les ultrasons émis par les chauves-souris © Gildas Monnier - GCOI

L’étude acoustique, très complémentaire de la capture ou du comptage visuel, a le vent en poupe. Avec l’amélioration et la baisse des coûts du matériel de détection, les scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle ont senti très tôt le potentiel du procédé pour suivre à grande échelle ces mammifères difficilement observables à l’œil nu. Depuis 2006, création du réseau Vigie-Chiro, ils encouragent les naturalistes amateurs à effectuer des enregistrements annuels autour de chez eux, lors d’un parcours pédestre, en voiture, ou encore en installant des capteurs fixes toute la nuit. Les participants transmettent ensuite leurs données aux scientifiques qui les analysent par le biais de logiciels d’identification automatique.
Aujourd’hui, après plus de 15 ans de mobilisation, le serveur héberge pas moins de 16 349 points d’écoute, réalisés au cours de 50 000 nuits par plus de 560 participants métropolitains. Outre le fait qu’elles alimentent quantité de travaux de recherche sur les populations de chauves-souris, ces données permettent de réaliser des suivis des populations sur le temps long. Grâce à un indicateur d’abondance des principales espèces à l’échelle nationale, on sait par exemple que la Sérotine commune (Eptesicus serotinus) a perdu en moyenne 30 % de ses effectifs entre 2006 et 2019 et la Noctule Commune (Nyctalus noctula) 88 %...


Un indicateur qui intéresse tout particulièrement Gildas Monnier. Après le succès de la mission acoustique de 2015 à Mayotte, lui et son équipe démarrent une nouvelle campagne toujours dans l’océan Indien, cette fois à La Réunion. Il s’agît tout d'abord d’effectuer des tests dans la réserve naturelle de l’étang de Saint Paul afin de pouvoir intégrer le réseau Vigie-Chiro. A la différence de l’expédition précédente, les enregistrements se font selon le protocole du Muséum, plus accessible aux non-initiés et reproductible. Car les suivis nécessitent beaucoup de données, lesquelles doivent être comparables d’une année sur l’autre et d’un endroit à l’autre. Quelques ajustements restent toutefois nécessaires : « Nous sommes dans une phase exploratoire, car nous devons former du monde – les enregistrements demandent un petit savoir-faire – mais aussi adapter le protocole point fixe que nous avons choisi. Comme les chauves-souris chez nous n’hibernent pas, nous pourrons faire trois séquences d’enregistrements annuels au lieu de deux par exemple. »

« Il faudra plusieurs dizaines de points d’écoute par an, pendant au moins 5 ans pour voir apparaître les premières tendances de populations à La Réunion. »

Les chauves-souris sont les seules mammifères terrestres indigènes présents à La Réunion. S’il existe une trentaine d’espèces en métropole, l’île de La Réunion n’en possède que trois connues, dont deux petites chauves-souris insectivores émettrices d’ultrasons : le Petit Molosse de La Réunion (Mormopterus francoismoutoui) et le Taphien de Maurice (Taphozous mauritianus), des spécimens de quelques grammes, ne dépassant pas les 40 centimètres d’envergure. La troisième espèce, la Roussette noire (Pteropus niger), ne joue pas dans la même catégorie : beaucoup plus imposante, elle peut atteindre un mètre d’envergure, et peser 500 grammes. Après avoir disparu au début du XIXe siècle, cette dernière fait son grand retour sur l’île depuis les années 2000. Quelques individus provenant de l’Ile Maurice ont probablement profité des courants cycloniques pour recoloniser La Réunion. A la différence des petites espèces insectivores, la roussette n’émet pas d’ultrasons puisque sa vue et son odorat lui suffisent pour repérer les zones de fruits. Depuis 2016, elle fait l’objet de suivi par observation à vue. On compte aujourd’hui moins de 200 individus.


Les suivis Vigie-Chiro concerneront donc en premier lieu le Taphien de Maurice et le Petit Molosse, bien que deux nouvelles espèces insectivores aient potentiellement été entendues il y a une dizaine d’année, sans confirmation par capture. Le taphien vit principalement dans les cocoteraies et se distingue par son ventre blanc, tandis que le petit molosse gîte naturellement dans les parois rocheuses, jusqu’à 2 300 mètres d’altitude. Très anthropophile, on le retrouve de plus en plus dans les fissures de ponts, des bâtiments et jusque dans les habitations. Concernant l’évolution des effectifs, le flou est total. La destruction des habitats, celle des espaces naturels entraînent des pressions négatives sur ces espèces, en particulier sur le Taphien. Seuls les suivis Vigie-Chiro pourront nous éclairer. Mais pas tout de suite. Selon Yves Bas, coordinateur du programme au Muséum national d’Histoire naturelle « Comme pour la métropole, il faudra plusieurs dizaines de points d’écoute par an, pendant au moins 5 ans pour voir apparaître les premières tendances de populations. »

Gildas Monier sur le terrain © Gildas Monnier - GCOI
Gildas Monier sur le terrain © Gildas Monnier - GCOI

« A ce stade, il faut former le réseau, en termes de connaissance, de compétence et d'acquisition de matériel, prévient Gildas Monnier. Nous ne voulons pas que les bénévoles soient des petites mains pour récupérer des données. Nous voulons les former pour les accrocher, les passionner. On ne devient pas chiroptérologue en deux mois ! ». Aujourd’hui, le Groupe Chiroptères Océan Indien emploie trois personnes à temps plein, et mobilise une vingtaine de bénévoles actifs. L’association s’emploie également à promouvoir la connaissance des chauves-souris au travers d’actions de sensibilisation, de vulgarisation scientifique.


Ces petits mammifères sont protégées à La Réunion et ne posent plus vraiment de problèmes de cohabitation, contrairement à l’Ile Maurice où l’abattage des roussettes noires accusées de s’en prendre aux vergers a marqué l’actualité récente. Reste que la proximité grandissante des chauves-souris réunionnaises avec les citadins peut générer des plaintes liées aux odeurs et à l’accumulation de déjections. L’association tente par la communication d’embellir l’image de l’animal, en insistant notamment sur les services rendus par les espèces insectivores capables de consommer en un jour jusqu’à un tiers de leur poids en insectes, y compris les ravageurs de culture et les moustiques.


Alors que les premières données réunionnaises commencent à cheminer vers le Muséum, de nouveaux test acoustiques sont déjà en cours sur les Iles Eparses, un ensemble d’îles françaises situé à l’ouest de Madagascar. Prochainement Gildas et son équipe comptent bien poser à nouveau leurs enregistreurs à Mayotte. Car au-delà des études sur la dynamique de populations, le naturaliste raisonne à long terme : « Cette manière de classifier et d’archiver les signaux que nous envoient les chauves-souris et qui s’accumulent dans l’océan Indien est aussi une garantie que cela va rester dans le temps. » Pour les premières tendances, rendez-vous dans 5 ans.


Pour en savoir plus sur les chauves-souris de La Réunion et les actions du Groupe Chiroptères Océan Indien, consultez le site internet du GCOI.

Avec Roger Etcheberry sur la tourbière, Miquelon © Doriane Blottière - Patrinat
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