Oiseau emblématique des zones humides de Mayotte, le Crabier blanc ne se reproduit que sur quatre îles au monde : Madagascar, l’atoll d’Aldabra aux Seychelles, l’île d’Europa et Mayotte. Considéré en danger d’extinction au niveau mondial, le statut du crabier est même « en danger critique » sur l’île. Les raisons de sa disparition ? Destruction de son habitat, dérangement lors de la reproduction, prédation par les rats... Sujet d’un Plan national d’actions (PNA), le Crabier blanc était également l’une des espèces ciblées par le programme LIFE BIODIV’OM, qui vient de s’achever. Retour sur les résultats de ces cinq années de travail.
Oiseau le plus menacé de Mayotte, le craintif Crabier blanc (Ardeola idae) vit principalement dans les zones humides où il se nourrit de poissons, d’insectes, de petits reptiles et d’amphibiens. En période de reproduction, les adultes sont aisément reconnaissables à leur plumage blanc immaculé et leur bec bleu vif, qu’ils troquent contre un plumage brun strié de beige et un bec gris le reste de l’année. Ils nichent dans les mangroves, à la cime des palétuviers, en colonies mixte avec une autre espèce de héron, le Garde-bœufs (Bubulcus ibis).
En 2018, on estimait à 800 le nombre de couples à l’échelle mondiale, dont 182 recensés à Mayotte. À l’échelle du territoire, il est considéré « en danger critique » d’extinction selon la Liste rouge de l’UICN (mise à jour en 2014). Les principaux responsables de sa disparition à Mayotte ? La dégradation de ses habitats, notamment à cause de l’expansion agricole, la prédation par les rats, ainsi que le dérangement de l’espèce sur ses sites de reproduction et d’alimentation.
Depuis sa création en 2010, le Groupe d’Études et de Protection des Oiseaux de Mayotte (GEPOMAY) est investi dans la préservation de l’espèce. L’association est animatrice du Plan National d’Action (PNA) en faveur du Crabier blanc et soutenue financièrement par le programme européen LIFE BIODIV’OM, coordonné par la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO). Ce programme, qui ciblait cinq espèces et un habitat dans cinq territoires d’outre-mer différents (Guyane, Martinique, La Réunion, Saint-Martin et Mayotte) et qui vient de s’achever, s’articulait autour de plusieurs objectifs.
Mieux connaître pour mieux protéger
De nombreuses questions étaient encore sans réponse quant à l’écologie du Crabier blanc et l’état des populations. Est-ce que les individus se déplacent dans la région ou sont-ils sédentaires à Mayotte ? Sont-ils fidèles à leurs sites de nidification ? Quelle est la taille de leur domaine vital ? Pour tenter d’y répondre, plusieurs individus ont été équipés de balises GPS/Argos, une première mondiale pour l’espèce ! Neuf mâles, une femelle, et un individu indéterminé – il n’existe pas de dimorphisme sexuel permettant de les distinguer, le sexage a été effectué a posteriori via des analyses ADN – ont ainsi été suivis dans leurs déplacements depuis décembre 2020.
Si l’échantillon est de taille modeste, il a déjà permis de relever des données intéressantes ! La plupart des individus équipés sont restés sédentaires à Mayotte, seul l’un d’entre eux s’est déplacé jusqu’à Anjouan, l’île comorienne la plus proche. Il apparaît que les crabiers ont une forte fidélité à leurs sites d’alimentation - ce qui met en évidence le risque d’impact fort pour l’espèce en cas d’aménagement anthropique sur l’un de ces sites. Des sites d’alimentations encore inconnus ont également été identifiés. La femelle, qui a changé de site de nidification au fil des saisons, semble avoir un domaine vital plus important que les mâles, mais seule la poursuite des travaux, avec l’équipement d’un plus grand nombre de femelles, permettrait de confirmer ce comportement.
Le deuxième volet de l’amélioration de la connaissance sur le crabier portait sur l’estimation de la taille de la population mahoraise. Si auparavant, le suivi s’effectuait en kayak et à pied dans la mangrove - une opération délicate, source de dérangement pour les oiseaux, et dont la fiabilité des résultats était incertaine en raison du manque de visibilité des nids depuis le sol - il est depuis 2014 assuré par drone. Les moyens alloués par le LIFE BIODIV’OM depuis 2019 ont permis d’améliorer et de standardiser le protocole, et le chiffre présenté en 2018 – 182 couples – a ainsi pu être corrigé à la hausse, avec 415 couples recensés sur la saison 2021-2022. Si cette augmentation peut être due à l’amélioration de l’efficacité de la méthode, le suivi 2022-2023, avec 545 couples recensés, semble montrer une tendance à la hausse des effectifs ! Cependant, seul un suivi sur le long terme permettra de confirmer ces tendances…
Lutter contre le rat noir, une mission sans fin
Originaire d’Asie du Sud-Est, le Rat noir (Rattus rattus) a été introduit par les activités humaines sur plus de 80 % des îles au monde, et on estime ses capacités de prédation responsables de l’extinction d’un grand nombre d’espèces, en particulier d’oiseaux. À Mayotte, un plan de lutte contre le rat a été mis en place à partir de 2020, suite à la mise en évidence de la prédation d’œufs dans des nids artificiels à proximité des héronnières.
L’utilisation de pièges mécaniques semi-automatiques, malgré leur coût élevé, a été préférée par rapport à la lutte chimique, non adaptée aux mangroves, et aux pièges-cages manuels qui nécessitent beaucoup plus de moyens humains - les mangroves étant des milieux difficiles d’accès et au sein desquelles la durée d’intervention est fortement limitée par les marées.
Le protocole s’est perfectionné au fur et à mesure des périodes d’interventions : nombre et distance des pièges entre eux, taille de la zone de lutte, type d’appâts… Les premiers résultats des suivis sont positifs, ils montrent une baisse de la densité de rats sur la zone et une augmentation de la population de crabiers. Ils seront à confirmer par des données à long terme, ainsi qu’une comparaison avec des données de sites ne faisant pas l’objet de dératisation.
Préoccupation majeure : au vu de l’étendue du territoire, l’éradication complète des rats de Mayotte est impossible, le contrôle des populations de rats sous les héronnières doit donc être pérennisée sur le long terme pour éviter une recolonisation par les rongeurs depuis les bordures des zones cibles.
Restaurer et protéger les sites d’alimentation et de nidification
Parmi les 21 sites d’alimentation du crabier connus à Mayotte, quatre ont été priorisés pour faire l’objet de mesures de restauration, en fonction de leur fréquentation par les hérons, de l’ampleur des menaces présentes et des contraintes foncières.
Les opérations mises en place on été diverses : réouverture du milieu, replantation de végétaux locaux, limitation de l’exploitation agricole, arrachage d’espèces exotiques envahissantes végétales (EEE) comme le Songe (Colocasia esculenta), les Sénés (Senna alata et Senna tora) ou encore l’Acacia mangium. Sur la prairie humide de Malamani par exemple, la réouverture du milieu par la lutte contre les EEE végétales s’est accompagnée de la plantation de 335 plants d’espèces locales pour reconstituer la forêt d’arrière mangrove en bordure de la prairie.
La participation des acteurs locaux (association des Jardins de M'tsangamouji, étudiants du BTS Gestion et protection de la nature du lycée agricole…) a facilité l’acceptation et la mise en place de certaines mesures, mais n’a malheureusement pas exclu des dégradations. Le travail porte néanmoins ses fruits, comme sur la prairie humide de Miréréni, où aucune recolonisation par des espèces envahissantes n’est constatée à ce jour après la réouverture du milieu. Là encore, seul un suivi sur le temps long permettra de mesurer l’efficacité de ces opérations sur la fréquentation des sites par les crabiers, ainsi que sur d’autres compartiments de la biodiversité locale, comme les libellules qui semblent déjà s’être réappropriées le site !
Et l’après-LIFE ?
Le LIFE BIODIV’OM est terminé, mais les actions ne s’arrêtent pas là ! De nouveaux financements ont été trouvés afin de poursuivre les opérations mises en place et le GEPOMAY est devenu gestionnaire de deux sites d’importance pour les crabiers, la Baie de Bouéni et le Lac Karihani, ce qui y facilitera et pérennisera les actions. Ces deux zones humides ont également fait l’objet d’une demande de labellisation Ramsar afin de témoigner de leur importance écologique au niveau international. Des demandes ont également été déposées afin de placer plusieurs autres sites d’alimentation et de reproduction sous le statut d’Arrêté Préfectoral de protection de biotope (APPB).
La conciliation entre les enjeux écologiques et sociaux à Mayotte est un enjeu particulièrement délicat, qui nécessite dialogue et concertation entre les différents acteurs. Un processus dans lequel les équipes du GEPOMAY sont pleinement engagées, pour la préservation des oiseaux du territoire.
Pour en savoir plus, découvrez toutes les activités du GEPOMAY sur le site internet de l’association et suivez leurs actualités sur Facebook.