À Saint-Pierre-et-Miquelon, le nom de Roger Etcheberry est bien connu. Autodidacte, le botaniste étudie et répertorie la flore de l’archipel depuis des décennies. L’équipe du Compteur biodiversité outre-mer l’a accompagné sur le terrain, où il nous a partagé sa passion et ses connaissances sur le patrimoine naturel de l’île.
Le rendez-vous est donné en début de matinée au pied du Chapeau, le sommet rocheux qui surplombe l’étang de Mirande, au nord de l’île de la Grande Miquelon. Le temps est couvert et venteux, comme souvent à Saint-Pierre-et-Miquelon, éclaircies et averses se partageront successivement le ciel. Nous descendons une petite pente buissonnante, et commençons à marcher sur le tapis de végétation spongieuse et gorgée d’eau de la tourbière.
Une petite définition : La tourbière est une zone humide caractérisée par un sol saturé d’eau peu mobile, privant d’oxygène les organismes (champignons et bactéries) responsables de la décomposition de la végétation morte. C’est l’accumulation de cette matière organique, peu ou pas décomposée, qu’on nomme la tourbe. Ces zones abritent une biodiversité unique, avec de nombreuses espèces rares, et elles représentent un important puit de carbone.
Les tourbières sont l’un des écosystèmes caractéristiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, où elles recouvrent de vastes surfaces. Sur l’archipel, elles n’ont jamais fait l’objet d’une exploitation et sont dans un bon état de conservation.
« Ça, c’est la Sarracénie Pourpre (Sarracenia purpurea), on la remarque facilement » explique Roger en pointant de grosses fleurs mauves dressées. « C’est l’emblème de Terre Neuve, juste à côté. C’est une des 7 espèces de plantes carnivores de l’île ». Et ces belles fleurs violet et jaune ? « De l’Iris des marais (Iris versicolor). J’en ai trouvé un blanc une fois ! ». Un peu plus loin, il enchaine « Ce spécimen de Triglocha maritima est petit, d’habitude ils sont plus grands. D’ailleurs se baser sur la taille n’est pas toujours très fiable, car parfois ça a été décrit à partir d’un spécimen qui n’était pas caractéristique ». « Et ça, c’est de l’Osmonde cannelle (Osmundastrum cinnamomeum), c’est la fougère la plus commune ici ».
Arethusa bulbosa, Plathantera blephariglottis, Calopogon tuberosus… Les noms scientifiques s’enchainent, chacun accompagnés d’explications et d’anecdotes. Avec 450 espèces de phanérogames (les plantes à fleur) et 174 espèces de bryophytes (les mousses) recensées sur l’île, il y a de quoi faire et la mémoire de Roger impressionne ! « Les gens pensent que c’est difficile les noms scientifiques, mais c’est juste une question d’habitude. Même si je n’ai pas fait de latin, quand on fait de la botanique on fait forcément du latin. » explique-t-il. Une dénomination latine est nécessaire pour effectuer des relevés précis car « même entre Miquelon et Saint-Pierre il y a parfois des noms communs différents ! ».
Roger a beaucoup appris par lui-même et il se considère comme un amateur passionné car la botanique n’a jamais été son métier. Il nous raconte avoir quitté l’école à 12 ans et travaillé la majeure partie de sa vie comme opérateur radio. Sa passion pour la nature a été tardive : « Quand j’ai commencé en 1974, je ne connaissais rien à rien. Je me suis d’abord intéressé aux oiseaux, avant de commencer à m’intéresser à la flore en 1976 ».
Si Roger a contribué à la découverte de la présence de nombreuses espèces sur l’archipel, il a également compilé et retranscrit les travaux de ses prédécesseurs, comme ceux du Père Le Gallo, et n’oublie pas de leur rendre hommage, à une époque où les moyens techniques et les déplacements étaient plus compliqués qu’aujourd’hui : « Les anciens botanistes se déplaçaient uniquement à pied. Les espèces qu’ils ont notées comme rares ne le sont pas forcément, c’était plus difficile pour eux de couvrir tout le territoire. Mais il y a des espèces qu’on n’aurait peut-être jamais trouvées si nos prédécesseurs ne les avaient pas remarquées avant nous ! ».
Ses recherches lui ont également permis de retrouver un herbier de la flore de l’archipel réalisé par le Frère Louis-Arsène au tout début du XXe siècle. Il était conservé en Bretagne, et Roger est parvenu à le faire rapatrier à Saint-Pierre-et-Miquelon. De son côté, sa propre collection en herbier qu’il a soigneusement composée durant plusieurs décennies compte environ 2000 planches et regroupe 263 taxons.
Sur la tourbière, entre les plans d’eau au milieu desquels pointent les fleurs jaunes des nénuphars (Nuphar variegata) et les différentes espèces d’orchidées, Roger scrute les bosquets d’arbustes à la recherche d’un spécimen bien particulier à nous montrer : un hybride entre deux espèces de sorbier (mais de son propre aveu « les hybrides, c’est le bazar ! »). Il ne se sépare jamais de son carnet de terrain, rempli d’abréviations que lui seul peut déchiffrer. Chaque code correspond à une espèce, qu’il reporte ensuite dans sa base de données personnelle. De ses relevés, il a également tiré une table de floraison, basée sur ses observations durant une trentaine d’années.
Au-delà de la flore, Roger dispose également d’une collection de photos impressionnante sur les mammifères marins aperçus autour de l’archipel, il échange d’ailleurs régulièrement avec d’autres passionnés partout dans le monde pour suivre leurs déplacements !
Ses connaissances et ses travaux sont aujourd’hui largement reconnus bien qu’il se considère avec humilité comme « un grand ignorant », car il y a tant encore à découvrir.
Roger encourage chacun à sortir et observer la nature à portée de bottes et de jumelles, car rien ne remplace le contact avec le terrain : « Même sur un petit territoire comme le nôtre, il y a toujours quelque chose à découvrir ! ».
Nous remercions chaleureusement Roger Etcheberry pour le temps qu’il nous a accordé.
En savoir plus : consultez la page portrait de Saint-Pierre-et-Miquelon, le portrait consacré à Roger Etcheberry par Outre-mer la Première, les articles consacrés à la flore de Saint-Pierre-et-Miquelon rédigés par Serge Muller avec la collaboration de Roger Etcheberry (Première partie et seconde partie).