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À la découverte des « forêts animales marines » : cap sur la Guadeloupe avec « Under the Pole »

Par Marine Didier - Publié le 17 juin 2024
Expédition sous-marine en Guadeloupe © Under the Pole
Expédition sous-marine en Guadeloupe © Under the Pole

C’est une expédition qui intrigue autant par l’objet de son étude que par la méthode employée. Un voilier sillonne les mers du globe pour étudier les « forêts animales marines », ces forêts construites par des animaux marins et accessibles aux seuls plongeurs spécialisés dans la plongée en eaux profondes… Bienvenue à bord de l’expédition menée par « Under the Pole », destination : la Guadeloupe.

Le Grand bleu. Enfin, pas non plus les abysses. Plutôt cet espace, compris entre 50 et 200 m de profondeur, la zone « mésophotique », où l’on peut retrouver des écosystèmes particuliers : les « forêts animales marines ». Cette appellation a été voulue « en analogie avec les forêts terrestres, parce qu’elles rassemblent, toutes deux, une part importante de la biodiversité », renseigne Myrina, coordinatrice scientifique des expéditions menées par « Under the Pole ». À la différence près que, dans le cas des forêts marines, ce ne sont pas des végétaux qui façonnent les habitats, mais des animaux : gorgones, coraux, éponges. Quand la lumière se fait plus diffuse, quand le terrestre fait place au marin, l’animal se fait bâtisseur et prend le relais du végétal.

« Under the Pole », en collaboration avec le CNRS (les laboratoires ECOBE et CRIOBE), s’intéresse de près à ces forêts animales marines. Pour mieux les comprendre et ainsi mieux les préserver et sauvegarder leurs caractéristiques, celles qui permettent de maintenir leur rôle de refuge pour la biodiversité.

Deux forêts sous-marines en Guadeloupe

Après l’Arctique et les Canaries, c’est donc en Guadeloupe que le voilier « Under the Pole » a jeté l’ancre en février 2023. « Nous avons fait appel aux scientifiques de l’Université des Antilles pour définir où pourraient se situer des sites potentiels de forêts animales marines », expose Myrina. « Nous sommes allés prospecter sur chacun de ces sites et sommes parvenus à identifier deux forêts sous-marines : une située proche de la côte ouest de la Basse-Terre, et une à proximité de la baie de Pointe-à-Pitre, dans l’axe du Gosier », poursuit la scientifique. « Ces deux sites sont suffisamment développés pour que l’on puisse parler de « forêt », c’est-à-dire, que « les structures animales occupent l’espace et viennent modifier les conditions environnementales, ici, en abritant les espèces du courant, un peu comme une forêt terrestre parvient à créer de l’ombre ! », complète-t-elle.

Voilier de l’expédition Under the Pole à l’ancre, au large de la Guadeloupe © Under the Pole
Voilier de l’expédition Under the Pole à l’ancre, au large de la Guadeloupe © Under the Pole

Travailler…sous l’eau !

Une fois les forêts identifiées, place aux mesures scientifiques. Combien y a-t-il d’organismes parmi les éponges, les gorgones et les coraux ? Quelles espèces de poissons et d’invertébrés évoluent dans cet espace ? Quelles sont les conditions physico-chimiques (température, lumière, nutriments, courant…) caractéristiques de cet environnement ?

Plongeur de la mission « Under the pole » relevant des données sous l’eau © Under the Pole
Plongeur de la mission « Under the pole » relevant des données sous l’eau © Under the Pole

Mesures, prélèvements sur les espèces et photos sont effectués par des plongeurs, qui passent 3 à 4 heures sous l’eau ! Ces professionnels respirent en circuit fermé, par le biais d’un recycleur et se déplacent sous l’eau à l’aide d’un petit propulseur, un véritable « scooter » sous-marin. Curieux spectacle pour les habitants des profondeurs… Une fois prélevés, les échantillons sont expédiés à la surface à l’aide de petits ballons gonfleurs. Ils sont ensuite montés à bord du voilier et conditionnés par les scientifiques, qui les analyseront une fois de retour dans l’Hexagone.

Un refuge pour la biodiversité sous-marine

« Ce sont dans ces forêts animales que la vie sous-marine se développe, là que les espèces se réfugient en cas de « coup de chaud » par exemple », expose Myrina. « Si la surface est soumise aux variations thermiques, quand l’on va en profondeur, à partir de 50 m, on se rend compte que la canicule y est bien moins importante, on parle de « refuges thermiques ». En Méditerranée par exemple, l’un des directeurs scientifiques de notre expédition, Lorenzo Bramanti, remarquait que les gorgones situées entre la surface et 40 m de profondeur, avaient énormément souffert de la canicule marine de cet été, en revanche, elles étaient globalement en bon état en dessous de 40 m... » « Mais, pour encore combien de temps ? », s’inquiète la scientifique.

Ces expéditions, qui s’inscrivent dans le projet « DEEPLIFE », tendent aussi à encourager les décideurs à « intégrer la zone mésophotique dans les plans de conservations, et dans les aires des zones protégées », conclut Myrina. « Cet été, nous serons en Méditerranée et nous reviendrons en Guadeloupe en 2025 pour effectuer un état des lieux de ces deux sites et noter le changement qui a pu se produire entre les deux expéditions ».

Prélèvement dans le cadre du programme DEEPLIFE © Under the Pole
Prélèvement dans le cadre du programme DEEPLIFE © Under the Pole

« Under the Pole » : des aventuriers au service de la science

« Under the Pole existe depuis 15 ans », explique Emmanuelle, co-fondatrice, avec son mari, des expéditions. « Je suis marin, j’ai eu l’occasion de naviguer avec Jean-Louis Etienne, avec qui j’ai découvert le monde des expéditions, j’ai rencontré mon mari peu après et nous avons décidé de nous lancer dans l’aventure : mettre nos compétences en voile et en plongée en eaux profondes au service de la science », raconte Emmanuelle. « Les premières expéditions se déroulaient dans l’Arctique, puis nous avons eu l’occasion d’aller en Polynésie française et de nous intéresser aux coraux mésophotiques par l’entremise de la chercheuse Laetitia Hédouin », « on s’est rendus compte qu’ils subissaient moins le blanchissement et qu’ils étaient plus divers que ceux de la surface », poursuit l’aventurière, « c’est comme ça qu’est venue l’idée d’étudier et de comparer cette zone dans les milieux polaires, tempérés et tropicaux » ! Le tout à bord d’un voilier qui est à la fois un support de vie où cohabitent scientifiques et marins pendant toute la durée de l’expédition, une plateforme de plongée et un laboratoire…

Pour en savoir plus, le site vous permettant d’en apprendre plus sur le programme DEEPLIFE ainsi que leur chaîne Youtube.

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