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entretien Antilles françaises

« La photographie apporte une émotion, mais le dessin permet de s’approprier une faune »

Propos recueillis par Pauline Dussutour - Publié le 11 juil. 2023
Thécla splendide (*Chlorostrymon lalitae*), espèce endémique de la Guadeloupe © Julien Touroult

Thécla splendide (Chlorostrymon lalitae), espèce endémique de la Guadeloupe © Julien Touroult

Maël Dewynter, expert naturaliste et illustrateur

Maël Dewynter, expert naturaliste et illustrateur

Observer toutes les espèces de papillons, d’amphibiens ou de reptiles qui existent dans les Antilles est un véritable régal pour les yeux, mais encore faut-il pouvoir les reconnaître. C’est le défi que Maël Dewynter s’est lancé ! Cet expert naturaliste, spécialiste de l’herpétofaune et passionné de dessin, a décidé d’allier les deux pour élaborer des guides d’identification illustrés. Il nous explique la naissance de ce projet regroupant des spécialistes de différents groupes taxonomiques, mais aussi l’importance de pouvoir identifier les espèces qui nous entourent et de partager les connaissances sur la biodiversité.

Q: D’où vous vient cette passion naturaliste et en particulier pour l’illustration naturaliste ?

Né en Martinique, entouré de nature, j’ai baigné dans cette passion de la nature toute mon enfance grâce à mon père. J’ai été élevé dans la découverte de la faune, avec en prime une magnifique bibliothèque naturaliste, puisque mon père collectionnait les livres sur la faune. À l’époque où Internet n’existait pas, je feuilletais ces livres qui étaient une sacré source d’information. Ensuite, vers mes 15-16 ans, je me suis intéressé à l’herpétofaune - ensemble des espèces de reptiles et d’amphibiens. Je me suis mis à attraper des serpents, des vipères... J’aimais ça et naturellement, je me suis tourné vers des études de biologie. À cette époque-là, je dessinais déjà beaucoup et j’ai intégré une association naturaliste avec des étudiants plus âgés, qui m’ont initié à plein de choses. Puis, mon premier voyage en Guyane a été véritablement fondateur. Durant un été, j’ai passé trois mois à travailler sur les tortues marines en tant que bénévole pour le WWF. Je suis retourné en Guyane les trois étés suivants. Il y avait là-bas les sensations et les odeurs de mon enfance. Ma décision a été prise de travailler en Guyane ! C’est à ce moment-là que j’ai développé le dessin de manière professionnelle. Maintenant, je jongle entre mon métier d’expert naturaliste, en tant que membre du conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane et membre du CSRPN, et illustrateur naturaliste. Et je n’ai toujours pas quitté la Guyane, j’y vis depuis 24 ans maintenant.

Maël Dewynter tenant une Chasseresse émeraude (*Chlorosoma viridissimum*) © Quentin Martinez

Maël Dewynter tenant une Chasseresse émeraude (Chlorosoma viridissimum) © Quentin Martinez

Q: Au-delà de vos deux passions et métiers, expert naturaliste et illustrateur, qu’elle a été le déclic qui vous a poussé à créer ces guides d’identification illustrés ?

Les livres de chevet de mon enfance étaient des guides illustrés de la faune. J’adorais ça ! Je pense que lorsque j’ai eu un niveau de connaissance suffisant dans certains groupes, j’ai eu envie de les transmettre de cette manière. C’est la base de pouvoir offrir des outils de reconnaissance de la faune. Le but, c’est de transmettre tout ce que j’ai appris, mais ça reste aussi un apprentissage pour moi. Les papillons, ce n’est pas mon domaine d’expertise, mais c’est passionnant !

L’autre déclic a eu lieu lors du développement de « Faune Guyane ». Je coordonne la base de données « herpétologie » et je suis validateur, avec d’autres, de ces données. À l’époque, nous notions beaucoup d’erreurs d’identification, notamment sur les Caïmans. L’idée est venue de là, nous avons fait un article sur l’identification des caïmans puis des tortues… Au moment du confinement, j’ai repris mes jumelles et j’ai beaucoup observé les oiseaux. Il n’y avait pas de guides sur les oiseaux en Guyane, alors j’ai commencé à illustrer les espèces que je voyais. À la fin du confinement, je me suis retrouvé avec ce guide que j’ai soumis à l’association ornithologique locale. Ils étaient emballés ! Ce guide a plu, il y a en a eu plusieurs et progressivement la possibilité de faire une collection s’est concrétisée. Ces guides ont comblé un manque pour un public autre que le public d’experts.

Petit guide illustré des amphibiens et reptiles de la Martinique © Maël Dewynter

Petit guide illustré des amphibiens et reptiles de la Martinique © Maël Dewynter

Q: L’objectif était celui-ci, de toucher plus de personnes, un public moins expert ?

Oui, de toucher plus de personnes, apporter des connaissances et permettre d’améliorer l’identification. La réalisation de ces guides vient du constat qu’il y a peu de guides naturalistes, qu’ils sont chers et qu’on les trouve peu facilement. C’est aussi pour ça que j’ai commencé à faire des guides sur les Antilles, pour toucher plus de monde. Et puis parce que j’ai une affinité particulière avec les Antilles, avec la Martinique. Aux Antilles, il y a des enjeux de conservation très importants, beaucoup d’endémismes et beaucoup de menaces. Les connaissances sur ces territoires sont primordiales. Si ces guides peuvent permettre d’avoir plus de données, c’est gagné !

Certaines espèces sont aujourd’hui très peu vues et sont quasiment considérées comme éteintes, notamment chez les serpents et certains lézards. Cela peut être une donnée documentée sur une espèce par décennie, nous en sommes là ! On est sur un processus d’extinction quasi-finale, et récupérer des témoignages de personnes, pas forcément naturalistes, devient très important. Quelque part, la publication des guides, c’est aussi une campagne de communication qui touche des personnes qui ne sont pas naturalistes, mais qui vont nous faire remonter des informations cruciales sur l’observation d’un serpent en Guadeloupe ou en Martinique par exemple. Et qui vont réussir à le distinguer d’une espèce introduite ! En Martinique par exemple, il y a une petite population de couleuvre des blés, qui est une espèce introduite originaire d’Amérique du Nord. Pour beaucoup de personnes, un serpent est un serpent. Ces guides permettent de montrer les différences et de dire : si vous voyez telle espèce ou telle espèce, faites nous remonter l’information !

Q: En effet, il est important de pouvoir repérer les espèces exotiques envahissantes. Les guides d’identification le permettent ?

Bien sûr ! Les espèces exotiques envahissantes sont également illustrées, car elles font à présent parties du paysage. Ces clés de détermination permettent de distinguer des choses qui ne sont pas évidentes, sur les geckos par exemple. Il y a beaucoup de geckos qui proviennent de Floride. La Floride est une plaque tournante des espèces exotiques envahissantes ! Des plantes, provenant du monde entier, arrivent en conteneur en Floride. Des populations se créent tout autour des grands ports, et chaque conteneur qui arrive aux Antilles depuis la Floride apporte son lot d’espèces potentiellement envahissantes. Ces guides peuvent notamment permettre de repérer de façon précoce l’installation des espèces exotiques, afin de potentiellement limiter leur expansion.

Cet apport d’informations pourrait permettre de répondre à des problématiques plus globales. Il ne faut pas grand-chose pour que des gens, qui n’ont pas un intérêt très prononcé pour l’activité naturaliste, se prennent au jeu, veuillent trouver et partager l’information sur la biodiversité qui les entoure.

Q: Quelles sont les problématiques plus globales auxquelles vous pensez ? Vous disiez tout à l’heure, qu’aux Antilles, il y a des enjeux de conservation très importants, beaucoup d’endémismes et beaucoup de menaces. C’est à ces menaces que vous pensiez ?

Oui, de la destruction directe des habitats à l’acharnement sur certaines espèces. Je pense notamment à la lutte acharnée pour décimer un serpent venimeux, un trigonocéphale endémique de la Martinique. Il y a eu des primes à la destruction pendant un temps et la population de trigonocéphale a beaucoup souffert de cette lutte. Je pense aussi à la Couresse de la Martinique, qui est une couleuvre endémique et qui est aujourd’hui presque éteinte. Il n’y a pas eu d’observation depuis 40 ans. La Couresse a aussi souffert de la lutte contre le trigonocéphale, à cause des confusions. De manière générale, il y a une réelle méfiance vis-à-vis des serpents. L’arrêté de protection des reptiles et amphibiens sur le territoire métropolitain ne date que de 2021 !

En Guadeloupe et en Martinique, c’est particulièrement marqué, à juste titre d’ailleurs. Le trigonocéphale de la Martinique est grand, il peut atteindre 2 m, et sa morsure sur un enfant peut être fatale. Il y avait des densités probablement très importantes de trigonocéphales du temps des Amérindiens, il a été extrêmement craint du temps des colonies et de l’esclavage, et c’était une peur tout à fait raisonnable. L'espèce a néanmoins fortement décliné ces dernières décennies et les observations deviennent rares. Il y a, par ailleurs, un anti-venin qui fonctionne très bien avec une prise en charge excellente. Le temps de la cohabitation est peut-être arrivé ?

Trigonocéphale (*Bothrops lanceolatus*), espèce endémique de la Martinique © Maël Dewynter

Trigonocéphale (Bothrops lanceolatus), espèce endémique de la Martinique © Maël Dewynter

Q: Pensez-vous que ces guides puissent être un levier pour la sensibilisation de la population à ces différentes espèces ?

J’admirai les guides ornithologiques de la bibliothèque familiale, les planches, les dessins : je pense que, même si ce n’est peut-être pas universel comme façon de penser, l’illustration est un très bon média. Je trouve que c’est beaucoup plus didactique et pédagogique que des guides photographiques. La photographie apporte une émotion, mais le dessin permet de s’approprier une faune. À partir du moment où tu connais quelque chose, tu finis par l’apprécier : tu deviens alors sensible au fait que tu ne verras probablement plus telle espèce dans un futur proche... Ce n’est peut-être pas un levier en tant que tel, mais c’est un outil, qui peut être utilisé par une association, pour de l’animation par exemple. Par ce biais-là, oui ! Les animateurs ont besoin d’outils.

Q: Comment avez-vous travaillé à la réalisation de ces guides concrètement ?

Je me suis dit : tiens, j’ai envie de faire des petits guides thématiques, sur un morceau d’une faune ou sur un site. Pour certains groupes, j’ai clairement en tête les attitudes les plus représentatives de l’espèce. Je prends des photos, ou bien, je trouve des photos et je fais une sorte de puzzle de toutes ces photos, puis je redessine avec une tablette graphique.

Pour les papillons, les amphibiens et les reptiles, j’avais vraiment besoin de les voir. Il y avait très peu de photos, donc j’ai fait des captures. Je fais des photos standardisées, ça fait des années que je fais ça. Je fais 50 ou 70 photos de chaque individu. Je prends en photo tous les critères essentiels pour une reconnaissance fiable, et ensuite, je fais des illustrations.

Par contre, je ne fais pas un guide sur un groupe que je ne maîtrise pas sans associer, voir même mettre en avant, la ou le spécialiste du groupe en question. Avec les papillons, j’ai fait un travail de bibliographie en amont et j’ai travaillé aussi avec Ombeline Sculfort qui est spécialiste des papillons. Nous avons récupéré toute la littérature naturaliste, nous avons regardé l’état des connaissances et nous avons contacté les naturalistes qui travaillent sur le sujet en Guadeloupe. Finalement, nous avons monté un projet pour capturer et photographier des papillons, en vue de faire des dessins et d’illustrer les critères d’identification. Certaines publications scientifiques évoquaient certains critères peu connus, donc nous avons bien observé et bien photographié les critères. Nous avons aussi essayé d’en trouver des nouveaux, plutôt naturalistes que scientifiques d’ailleurs. C’est super intéressant de travailler avec des spécialistes d’autres groupes, ils peuvent avoir une approche très différente de la tienne. Les critères que l’on appelle « naturalistes », c’est la manière dont le papillon va être posé, ce sont des attitudes qui seront une aide à l’identification. Nous avons développé cette approche naturaliste pour ce guide et c’était chouette ! Tu es tellement content lorsque tu trouves un critère que personne n’a vraiment repéré !

Petit guide illustré des papillons diurnes de la Guadeloupe et de ses dépendances © Maël Dewynter et Ombeline Sculfort avec la participation de Toni Jourdan

Petit guide illustré des papillons diurnes de la Guadeloupe et de ses dépendances © Maël Dewynter et Ombeline Sculfort avec la participation de Toni Jourdan

Q: Et vous avez trouvé votre public ? Comment arrivez-vous à toucher ce public moins expert ?

Oui, ils servent ces guides ! Les naturalistes qui entrent souvent de la donnée les ont et s’y reportent, c’est certain. Je suis moi-même le premier utilisateur de ces guides. Si j’ai un doute, je regarde. Il y a aussi eu des expérimentations avec des QR code sur certains sentiers, avec deux-trois illustrations, et l’accès au guide. Ce système serait idéal pour que les gens puissent avoir accès à ces guides sur les sites de randonnés naturalistes ou de randonnées familiales, que les randonneurs aient des guides disponibles à l’entrée du sentier. Idéalement, ils auraient un accès à la page permettant de rentrer les données d’observation, peut-être dans un second temps. Il faut d’abord développer auprès des gens l’envie de chercher à reconnaître des espèces et ensuite, ils auront peut-être envie de contribuer à la science en saisissant leurs données.

Q: S’impliquer est un point d’entrée pour mieux connaître la biodiversité. Identifier des espèces et saisir des données permettent en plus de participer à la connaissance scientifique et à la sauvegarde de ces espèces. Comment peut-on s’impliquer ?

La science participative s’impose de plus en plus. C’est beaucoup plus performant que juste la compilation des données des experts ! Les bases de données sont énormes : même avec des erreurs, la quantité de données fait qu’on peut en tirer des tendances. C’est un outil essentiel à la conservation ! L’analyse de ces données est une très bonne manière d’argumenter, pour ensuite prendre des arrêtés de protection d’espèces ou des arrêtés de protection d’habitats.

Avec ces guides, j'aimerais encourager les personnes que la Nature passionne, émerveille ou simplement interroge, à prendre le temps d'observer les espèces, à essayer de les identifier (c'est très ludique et satisfaisant de mettre un nom sur une observation) et à saisir les données ! Il faut que les bases de données soient fiables et qu’il y ait beaucoup de données, pas que sur les espèces rares d’ailleurs, mais aussi sur les espèces communes. C’est pour cela aussi que je ne décris pas que les espèces rares et protégées dans mes guides : je décris aussi les espèces communes. Dans 20 ans, certaines espèces aujourd’hui communes seront peut-être au bord de l’extinction, d'autres, nouvelles venues, feront partie de notre quotidien... Mon projet est finalement simple : soutenir les programmes de sciences participatives en les adossant à ces guides.

Pour aller plus loin, téléchargez le Petit guide illustré des Papillons diurnes de la Guadeloupe et de ses dépendances ou encore le Petit guide illustré des Amphibiens & des Reptiles de la Martinique et découvrez de nombreux autres guides sur le page de Maël Dewynter. Participez à la science en recherchant le programme de sciences participatives fait pour vous !

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