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entretien Guyane

Les Mantes, des prédatrices charismatiques, dévoilent leurs secrets en Guyane

Propos recueillis par Pauline Dussutour - Publié le 12 sept. 2023
Femelle *Tithrone roseipennis* à Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin
Femelle Tithrone roseipennis à Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin
Nicolas Moulin, entomologiste indépendant

Nicolas Moulin, entomologiste indépendant

La Guyane compte un grand nombre d’espèces de Mantes, dont certaines endémiques. On en dénombre trois fois plus que dans toute l’Europe ! Pourtant, il reste plein de choses à découvrir sur ces insectes pour le moins intrigants. L’enjeu pour Nicolas Moulin, entomologiste et spécialiste des Mantes, c’est de développer l’intérêt des naturalistes pour ce groupe en partageant sa connaissance. Après avoir découvert de nouvelles espèces pour la science, il écrit aujourd’hui un ouvrage d’identification des Mantes de Guyane, qui permettra d’identifier la majorité des espèces directement sur le terrain.

Q: Vous êtes entomologiste indépendant, est-ce que, en quelques mots, vous pouvez nous expliquer en quoi consiste exactement votre métier et pourquoi vous avez choisi d’étudier l’entomofaune ?

En effet, je suis entomologiste indépendant depuis 17 ans. Dès mon plus jeune âge, j’ai été attiré par l’observation des insectes dans leur milieu naturel. Ils m’ont passionné et j’ai absolument voulu en faire mon métier. J’ai donc fait des études supérieures en écologie et environnement au Muséum national d’Histoire naturelle et, n’ayant pas suivi la voie recherche mais la voie appliquée, je me suis dit que me mettre à mon compte serait une bonne idée. C’est donc avant tout un métier passion ! Mon cœur de métier est de faire des expertises et des inventaires globaux sur les habitats, des inventaires d’étude d’impact, des suivis d’espèces protégées. Je travaille pour le compte de structures très différentes pour des projets, là encore, très différents. En octobre par exemple, je pars sur le terrain en Guyane dans le cadre du projet SURVEY pour faire de l’identification de Mantes. Je suis aussi validateur du groupe Mantes pour les plateformes de données : iNaturalist, faune-guyane et INPN Espèces. J’entretiens également un volet recherche par passion (ou par nécessité, pour qu'elle perdure...).

Q: Pourquoi vous intéressez-vous en particulier aux Mantes de Guyane ?

La Guyane dispose d’un immense couvert de forêt tropicale du bassin amazonien et tout naturellement, je me suis intéressé aux Mantes qui y vivent. Ce ne sont pas moins de 81 taxons (80 espèces valides et 1 genre nouveau pour la Guyane) de Mantes qui sont présentes dans ce département. Certaines ne sont pas identifiées à l’espèce, mais ont été arrêtées au genre, comme les individus femelles sans mâles, il y en a donc certainement bien plus.

Entre la surface du bloc forestier et les confusions taxonomiques, il y a encore des connaissances à apporter sur ce taxon. Certains individus récoltés étaient systématiquement confondus avec une autre espèce. Aujourd’hui, ce problème subsiste, des confusions persistent. Il y a des espèces pour lesquelles nous ne disposons encore d’aucun moyen pour les différencier, mais qui sont pourtant des espèces différentes. Un travail de barcoding ADN (technique d'identification permettant, à partir d'une courte séquence d'ADN, de caractériser génétiquement un individu) est actuellement mené, pas sur les 81 espèces, cela dit nous pourrions tout de même imaginer que le séquençage d’un individu qui sort du lot pourrait mener à l’identification d’une nouvelle espèce. En Guyane, il y a énormément d’espèces que nous ne connaissons que par un seul spécimen, que nous n’avons pas revues depuis leur description et au moins trois espèces ne sont connues que par les mâles, nous n’avons jamais observé les femelles.

Mâle *Cardioptera squalodon*, dont on ne connait pas la femelle, Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin
Mâle Cardioptera squalodon, dont on ne connait pas la femelle, Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin

D’autre part, certaines localités isolées de Guyane renferment certainement de nouvelles espèces. Je dirais qu’il existe potentiellement entre 5 et 10 % d’espèces encore à trouver en Guyane. Il y a des Mantes aptères (dépourvues d’ailes) d’un centimètre, dont certaines qui ne vivent que sur les troncs d’arbres. Elles sont difficilement observables, il faut les chercher pour les voir. D’autres, en revanche, de 15 cm, sont très bien étudiées et fréquemment observées. En Guyane, dès que l’on dépasse le bord littoral, composé de savanes ou de forêts sur savane, c’est un couvert forestier, et ce, jusqu’au Brésil puis jusqu’au Pérou et en Colombie. Il y a donc encore beaucoup de choses à faire et à découvrir ! Sur une carte de répartition des espèces, là où il y a une myriade de points, c’est là où il y a des pistes, tandis que certains endroits ne sont que très peu étudiés. Il y a d’ailleurs un biais important sur ces cartes. En effet, si nous prenons une espèce très commune, qui noircit de points de présence certaines parties de la carte, cela ne signifie pas qu’elle n’est pas présente partout, c’est peut-être que personne n’est allé voir si elle était présente sur les autres parties de la carte ! Il y a encore une surface très importante à étudier.

Camp en sous-bois © Nicolas Moulin
Camp en sous-bois © Nicolas Moulin

Q: Vous avez découvert deux espèces nouvelles pour la science. Pouvez-vous nous parler de cette découverte ?

Il existe des structures très actives en Guyane et il y a énormément de naturalistes, d’associations, dont la société entomologique Antilles-Guyane (SEAG), qui pose des pièges un peu partout. Les échantillons étaient envoyés au Muséum national d’Histoire naturelle et mon mentor de l’époque les examinait afin d’identifier d’éventuelles espèces nouvelles pour la science. Ensuite, ces échantillons étaient mis de côté. Voyant tous ces échantillons, je me suis dit que ces individus n’avaient pas été collectés pour rien et qu’il fallait en faire quelque chose. J’ai donc fait une synthèse bibliographique et en retravaillant sur les données, je me suis posé des questions sur certaines espèces. Avec les spécimens devant moi, je me suis donc mis à faire une analyse bibliographique sur le genre, un état de l’art. J’ai comparé les spécimens aux autres spécimens de pays avoisinants, aux individus provenant d’autres musées. J’ai échangé avec des collègues afin de savoir à quoi ressemblaient les espèces de ce genre, qui ne ressemblaient pas aux spécimens devant moi. Nous avons effectué une dissection de l’appareil génital, qui est un critère d’identification, et ce n’était pas la même morphologie des structures.

L’étape suivante, c’est donc d’acter que c’est une espèce nouvelle pour la science, que d’après mon état de l’art c’est nouveau. Tu écris donc un papier scientifique dans lequel tu décris l’espèce en détail, tu listes l’ensemble des spécimens que tu as pu examiner, tu choisis des types, c’est-à-dire les individus qui portent les critères originels de la description, et les paratypes, une série de spécimens qui peut servir de néotypes si le type disparaît pour une quelconque raison. Pour les deux nouvelles espèces que j’ai décrites, les papiers ont été publiés.

Q: Quels sont enjeux que pèsent sur les espèces de Mantes de Guyane ?

Le principal enjeu, c’est la déforestation. Cependant, un autre enjeu est l’apport de connaissances. J’ai envie que ce groupe taxonomique puisse servir pour des institutions qui auraient besoin de supports pour faire des études. Lorsque, par exemple, je fais des inventaires, je me rends compte que certains groupes taxonomiques sont très largement publiés, il existe plein de guides sur certains taxons et à force, les naturalistes ont créé de la donnée sur ces taxons. Ces données permettent de faire des listes rouges, d’instaurer des statuts de protection, de faire des évaluations, etc.

Dans le cas des Mantes, elles n’ont pas une grande capacité de dispersion. Elles volent uniquement pour se déplacer de quelques mètres ou pour planer. Énormément d’espèces ont des femelles aptères, or c’est la femelle qui pond, donc la population ne bouge pas beaucoup. Il y a des espèces, ou groupes d’espèces, qui vivent uniquement sur des troncs d’arbres. Elles sont donc grandement vulnérables à des projets destructeurs localisés sur leur habitat par exemple. On peut citer aussi comme exemple le cas de la pique-prune, une cétoine protégée qui se déplace très peu et qui vit dans le terreau de cavités d’arbres. C’est une star des « espèces parapluies » (la protection de ces espèces profitent aussi à d’autres espèces moins emblématiques qui partagent leur écosystème) et de la protection de linéaire d’arbres. En outre-mer, à Marie-Galante, Liturgusa dominica, une petite mante que l’on trouve aussi à la Dominique, n’est présente que dans les ravines humides de Marie-Galante et ne vit que sur les troncs d’arbres. Si un jour, la ravine est défrichée, l’espèce disparaîtra. Elle est vulnérable, tout comme la cétoine précédemment évoquée, la seule différence, c’est qu’il n’y a pas assez de données sur les Mantes.

*Pseudacanthops spinulosus* mâle, Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin
Pseudacanthops spinulosus mâle, Papaïchton (Guyane) © Nicolas Moulin

Q: Vous écrivez actuellement un guide d’identification des Mantes de Guyane. Quels sont les principaux objectifs de cet ouvrage et à qui s’adresse-t-il ?

En effet, je suis en cours d’écriture d’une faune, un guide permettant l’identification des Mantes de Guyane. J’espère que cela permettra de mobiliser plus de données, par la suite, de faire des listes rouges ou des statuts de protection et que ce groupe taxonomique puisse devenir un groupe support pour faire de futures évaluations dans le cadre d’étude d’impact par exemple.

Au-delà de récolter plus de données, il y a l’objectif d’améliorer l’apport de données. Certaines personnes voient des Mantes, font des photos et publient les photos, mais elles aimeraient bien pouvoir l’identifier, au moins au genre. Ceux qui récoltent de la donnée ont envie de savoir ! L’intérêt, c’est donc que les naturalistes s’en servent pour pouvoir identifier des spécimens. Les données comporteront moins d’erreurs. D’autre part, s’ils arrivent à identifier les spécimens avec ce guide, peut-être qu’ils ne collecteront pas les spécimens en question et in fine cela permettra de diminuer la collecte d’individus par les naturalistes.

C’est un guide plutôt à destination des naturalistes qui produisent de la donnée, à ceux qui observent sans produire de la donnée également : à tous les scientifiques qui s’intéressent à ce groupe. C’est évidemment pour qu’il y ait plus de saisies de données, mais aussi pour que les gens reconnaissent les espèces quand ils marchent, aient envie de les partager, de partager les observations autour d’eux, d’inciter les gens à savoir et à connaître ce qu’ils ont chez eux.

Q: Comment avez-vous travaillé à la réalisation de ce guide concrètement ?

Là encore, j’ai fait une analyse bibliographique, un état de l’art, permettant d’avoir accès à toutes les références scientifiques sur les Mantes de Guyane. Il s’agit ensuite de saisir les données, faire des photos, de montrer des postures aussi. Certaines Mantes font des postures incroyables avec leur abdomen, en écartant les pattes, les ailes... Il y aura des clés d’identification des genres et des familles au début du livre. Ce ne sont pas moins de 10 familles représentées en Guyane sur plus de 25 existantes en France. Il y a aura aussi des fiches pour toutes les espèces de Guyane, avec des descriptions sommaires, de la biologie, des diagnoses, des cartes de répartition, un histogramme de phénologie, des photos et les organes génitaux des mâles (genitalia), critères d’identification très connus.

Nicolas Moulin dans la canopée © Matias Loubes
Nicolas Moulin dans la canopée © Matias Loubes

Q: Un appel à participation a été lancé sur l’application INPN Espèces où une quête sur les Mantes de Guyane est ouverte afin de te permettre de récolter plus de données. Qui peut participer ?

Tout le monde peut participer ! Pour participer, il suffit de télécharger INPN Espèces sur son smartphone. C’est la première fois que je fais une quête comme ça, mais je trouve que c’est important que les citoyens participent à la connaissance sur les Mantes. Il faut prendre en photo les mantes, en Guyane particulièrement où il y a 81 espèces de mantes. C’est pourtant en Guyane que je ne validais que 3-4 publications par an sur Détermin’Obs ! Les gens ont leur téléphone dans la poche, il faut qu’ils s’en servent et que cela permette d’apporter des données, importantes pour la science.

Pour en savoir plus, retrouvez Nicolas Moulin sur LinkedIn et sur sa page Facebook. Si vous souhaitez partager vos observations et enrichir les cartes de répartition de ces espèces, la quête sur les Mantes de Guyane est disponible ici.

Tourbière de Saint-Pierre et Miquelon © Dominique Marguerie
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