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L’Histoire des tourbières de Saint-Pierre et Miquelon

Propos recueillis par Pauline Dussutour - Publié le 14 nov. 2023
Tourbière de Saint-Pierre et Miquelon © Dominique Marguerie

Tourbière de Saint-Pierre et Miquelon © Dominique Marguerie

Axel Hacala, étudiant en thèse à l’Université de Rennes 1

Axel Hacala, étudiant en thèse à l’Université de Rennes 1

Les tourbières occupent une grande partie de surface terrestre de l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon. Elles sont pourtant encore mal connues et renferment de nombreuses informations, aussi bien passées qu’actuelles. Axel Hacala, étudiant en thèse, nous raconte l’histoire de ces écosystèmes fascinants et des communautés qui les composent.

Q: Saint-Pierre et Miquelon est un territoire composé de vastes tourbières et ces habitats naturels occupent une superficie importante de l’archipel. Pourquoi est-ce important d’étudier ces écosystèmes ?

C’est une vaste question ! Il y a plusieurs raisons d'étudier les tourbières. La première est que c’est un habitat à fort enjeu de conservation. Sur l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon, elles vont bien, il y a assez peu de pressions liées aux activités humaines, à part peut-être un peu d'urbanisation, mais ce n’est pas le cas à l'échelle mondiale. Il est important de les étudier parce que ce sont des habitats très particuliers, aux conditions spéciales et donc avec une biodiversité spécifique. Ces zones ont longtemps été considérées comme des marais, comme la plupart des zones humides d’ailleurs. Elles étaient considérées comme peu intéressantes puisqu’on ne pouvait pas faire d'agriculture, il était compliqué d’y construire quoi que ce soit, elles ont donc été asséchées. D’autre part, ces milieux sont extrêmement liés à leur hydrologie, on peut les assimiler à de grosses éponges, la présence de l'eau est importante dans tous les fonctionnements de la tourbière. Ainsi, les changements climatiques, les dynamiques de sécheresse ou en tout cas les variations de l'apport en eau, pourraient les affecter. Les tourbières sont donc à la fois précieuses et en danger.

L’autre raison d'étudier les tourbières, c’est que ce sont des milieux pour lesquels nous avons relativement peu de connaissances, en tout cas en Amérique du Nord, et paradoxalement, ce sont aussi des milieux qui peuvent nous en apprendre beaucoup.

La droséra à feuilles rondes (*Drosera rotundifolia* L., 1753), plante carnivore © Pascaline Caudal

La droséra à feuilles rondes (Drosera rotundifolia L., 1753), plante carnivore © Pascaline Caudal

Q: Votre thèse porte plus particulièrement sur les dynamiques actuelles et passées (paléoécologie) des tourbières, étudiées à travers les arthropodes (araignées, fourmis et carabes) et la diversité végétale. Tout d’abord, comment vous définiriez la paléoécologie ?

La paléoécologie, c'est l'écologie du passé. C’est l'étude des interactions des espèces entre elles et avec leur environnement, dans le passé. Sur le plan méthodologique, la paléoécologie diffère de l'écologie puisqu’il faut travailler avec des méthodes différentes. Il faut récupérer des indices de l'ancien temps et ces indices, de par leur nature, nous oblige à être un petit peu plus humble dans l’analyse et les conclusions que l’on peut en tirer. C’est aussi l’un des sujets de ma thèse : comment, en travaillant sur une même zone, peut-on essayer de croiser les informations d'aujourd'hui avec celles d'hier ?

Q: Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur votre thèse justement ?

Ma thèse porte sur l’écologie des communautés actuelles et passées. Il s’agit de faire de la paléoécologie sur ces milieux en faisant du carottage. Dans ces milieux saturés en eau, il y a peu d'activités biologiques, la matière se dégrade peu, donc lorsque l’on creuse dans une tourbière, on remonte dans le temps. C’est ça qui nous intéresse, tous les indices laissés à travers le temps au sein de la tourbière, qui nous permettent d'étudier les communautés animales, végétales et les conditions climatiques et paysagères sur 2 000 ans.

Méthode de carottage pour l’étude de la paléoécologie © Dominique Marguerie

Méthode de carottage pour l’étude de la paléoécologie © Dominique Marguerie

Pour la partie actuelle, on travaille sur des arthropodes selon deux méthodes d’échantillonnage. D’une part avec les pièges Barber, qui sont simplement des petits gobelets enfouis dans le sol et dans lesquels les insectes tombent. Cette méthode donne une idée des communautés qui se promènent sur le sol (épigé). D’autre part, on récupère des petites bêtes moins actives avec un aspirateur thermique. Ce couplage nous permet d'avoir un aperçu assez représentatif des communautés d'arthropodes qui vivent sur sol et sur la végétation des tourbières.

Echantillonnage avec un aspirateur thermique © Sylvie Allen-Mahé

Echantillonnage avec un aspirateur thermique © Sylvie Allen-Mahé

Dans le cadre de ma thèse, je ne vais pas valoriser les fourmis et les carabes, pourtant échantillonnés et identifiés, mais les communautés sont insuffisantes. D’une part, j’ai perdu une partie des échantillons – les aléas du métier – et d’autre part, nous avons été très surpris par la pauvreté du milieu pour ces espèces. À titre de comparaison, avec le même nombre de pièges, nous aurions pu capturer 20 000 araignées dans une prairie bretonne. Sur mes sites, je n’ai eu que 300 individus et 600 en couplant avec la seconde méthode d’échantillonnage. Les communautés étudiées seront donc principalement les araignées et la végétation pour l’actuel et les oribates (acariens) et la végétation pour le passé. Les communautés de fourmis et de carabes ne seront pas incluses dans mon travail, mais ce n’est pas perdu, cela apporte de la connaissance naturaliste.

Q: Est-ce que vous pouvez nous en dire plus un peu sur ces communautés qui vivent dans les tourbières ?

Pour beaucoup, ce sont des espèces spécialisées. Il faut être capable de vivre dans un milieu humide, acide, pauvre, notamment pour les tourbières que nous étudions ! Il y a plein de types de tourbières que l’on classe selon un gradient de richesse et là, en l’occurrence à Saint-Pierre et Miquelon, nous sommes sur des tourbières très pauvres : c'est ce que l’on appelle les tourbières ombrotrophes. L'eau qui nourrit l'hydrologie de ces tourbières vient principalement de la pluie, très peu riche en nutriments. Cela entraîne du spécialisme, chez les araignées par exemple. Pour les tourbières d'Amérique du Nord, c'est d’ailleurs l’un des taxons pour lequel il y a le plus d'espèces spécialisées en nombre d’espèces. On observe des espèces très hydrophiles sur l’archipel, comme la dolomède striée (Dolomedes striatus Giebel, 1869). C'est une araignée magnifique, de grande taille, qui chasse depuis le bord des étangs. Elle est capable de marcher sur l'eau, voire de plonger ou de nager pour se nourrir et parfois elle se nourrit de petits poissons !

Nous n’avons pas trouvé de nouvelles espèces pour la science, mais ma thèse a contribué à faire avancer les connaissances naturalistes locales.

Q: Est-ce que de nouvelles espèces ont été décrites dans le cadre de votre projet de thèse ?

Non, pas au sens strict, nous n’avons pas trouvé de nouvelles espèces pour la science. Par contre, ma thèse a contribué à faire avancer les connaissances naturalistes locales. Il y a des naturalistes locaux qui travaillent sur différents taxons, mais c'est souvent de la capture active, qui tend à manquer les espèces nocturnes ou trop discrètes. De ce fait, pour les araignées, on augmente les connaissances locales de pas loin de 50 %. Nous connaissions une centaine d'espèces à peu près et j’en ai identifié une bonne cinquantaine, nouvelles pour l'archipel. Elles sont connues pour la science puisqu’elles sont connues à Terre-Neuve ou au Québec, mais elles n’avaient pas été observées à Saint-Pierre et Miquelon. Pour les acariens, tout ce que je trouve est nouveau puisque nous n’avions pas de spécialiste sur l’archipel. Cela représente 17 espèces en paléoécologie et 1 espèce actuelle. Pour les fourmis et les carabes, j’ai quelques nouvelles espèces aussi. Nous n’avons pas beaucoup de naturalistes sur l’archipel donc nous sommes restreints à ce que les naturalistes de l’île aiment bien faire.

Q: Quelles sont vos hypothèses sur les évolutions des tourbières et des communautés de tourbières ?

Pour le passé, mes hypothèses vont porter sur des évolutions principalement climatiques puisque sur les 2 000 dernières années, il y a eu des événements climatiques globaux : le petit âge glaciaire, puis, après ce petit âge glaciaire, l'anomalie climatique médiévale avec un réchauffement. Saint-Pierre et Miquelon, de par sa position géographique, possède un climat assez particulier, subarctique. Potentiellement, les différents événements climatiques se sont exprimés différemment sur l’archipel. Ensuite, il s’agirait de savoir quels ont été les impacts de ces évènements sur la tourbière. On s'attend donc à voir des variations d'espèces plus ou moins thermophiles, ou alors plus ou moins hydrophiles si ces évènements ont eu un impact sur l’hydrologie. Nous verrons, il faut encore analyser finement les données, tout comme les données de la végétation du passé et les données des communautés actuelles.

Q: Vous disiez que les tourbières sont plutôt préservées à Saint-Pierre et Miquelon, mais menacées par les changements climatiques et l’urbanisation. Est-ce que d’autres menaces pèsent sur ces écosystèmes ?

En effet, cela peut surprendre, mais l’urbanisation n’est, en effet, pas négligeable. La surface de l'archipel n'est pas très importante donc chaque tourbière détruite représente un pourcentage significatif. Il y a aussi des activités qui se font de part et d'autre de la tourbière qui peuvent entraîner de l'eutrophisation du milieu, donc l’enrichissement du milieu. Étant donné que ce sont des milieux qui sont caractérisés par leur pauvreté, avec des espèces adaptées à cette pauvreté, si le milieu s’enrichit, d’autres espèces vont pouvoir les coloniser et ainsi entrer en compétition avec les espèces naturellement présentes.

Site d’étude aux abords de l’urbanisation © Pascaline Caudal

Site d’étude aux abords de l’urbanisation © Pascaline Caudal

Q: De manière générale, vous vous intéressez particulièrement aux araignées. D’où vient cette passion ?

J'ai commencé à m’intéresser aux araignées pour combattre une phobie ! J'étais déjà naturaliste, je m’intéressais principalement aux oiseaux à l’époque, mais sur le terrain ma phobie devenait très handicapante. Il y a un dicton qui dit que l’on n'est jamais à moins de 2 m d'une araignée et c'est assez souvent vrai ! Déjà à l’époque je les trouvais fascinantes, mais la peur des araignées est vraiment ancrée dans l'humanité. Pourtant, c’est tout un monde à découvrir ! À titre de comparaison, il n’y a pas loin de 50 000 espèces d’araignées contre environ 6 500 espèces chez les mammifères.

J’ai commencé à lire des livres, puis à essayer de les prendre en photo… Par la suite, j'ai rencontré Daniel Abraham, un naturaliste local qui a énormément travaillé sur les arthropodes. Il était très content qu’un petit jeune de l'archipel s’y intéresse. À ce moment-là, je faisais des études de biologie donc j'avais cette appétence pour la connaissance scientifique et de fil en aiguille, je suis allé un petit peu plus loin. Par la suite, j’ai effectué un stage sur les araignées guyanaises avec Julien Pétillon, qui fait aujourd’hui partie de mon équipe d'encadrement de thèse, et à partir de là, j’ai voulu en faire mon modèle d’étude. Et ce sont de très bon bioindicateurs, c’est un modèle d'étude super pertinent ! Les araignées possèdent une grande diversité écologique et il y a plein de sensibilités écologiques différentes chez les araignées. Les étudier nous donne énormément d'informations sur leur environnement, de façon beaucoup plus efficace que si on essayait d'étudier toutes les facettes de l'environnement qui permettent leur présence.

La dolomède striée (*Dolomedes striatus* Giebel, 1869) © Axel Hacala

La dolomède striée (Dolomedes striatus Giebel, 1869) © Axel Hacala

Q: Vous réalisez également des actions de sensibilisation, c’est bien ça ?

Oui ! Pour mieux connaître la dolomède striée et sa répartition sur l'archipel, nous avons lancer une campagne d'observation avec la Maison de la Nature et de l'Environnement. Le but était de faire d’une pierre deux coups en promouvant l'utilisation d'un outil de partage d'observations naturalistes. Il s’avère que cette campagne n’a pas été très concluante. Il faut dire que la dolomède est une araignée discrète. Et puis c’est une araignée ! Ce ne sont pas les plus populaires. Une naturaliste locale a fait remonter une toile et deux observations.

De manière générale, la vulgarisation et la sensibilisation sont des objectifs de ma thèse. Auparavant, je travaillais comme guide naturaliste à Saint-Pierre et Miquelon. J’aime cet exercice de faire découvrir l’environnement aux gens. J’avais aussi envie de faire ma thèse sur l’archipel pour ça, pour faire des restitutions de mon travail, partager mes données, faire de la communication et que mon travail puisse servir au territoire.

Pour aller plus loin, découvrez la page ResearchGate d’Axel Hacala. Vous pouvez aussi en apprendre plus sur la biodiversité de Saint-Pierre et Miquelon en consultant le Portail du patrimoine naturel de Saint-Pierre et Miquelon et le portrait de Saint-Pierre et Miquelon. Pour de magnifiques images de dolomède striée, nous vous invitons à visionner ce petit documentaire, Huit pattes dans les marais.

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