entretien
VOIR TOUS LES ENTRETIENS
entretien Polynésie française

Sur le plateau de Maraeti’a, opération de conservation des plantes endémiques des forêts tahitiennes

Propos recueillis par Doriane Blottière - Publié le 29 nov. 2023
Vue sur le plateau de Maraeti’a © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Vue sur le plateau de Maraeti’a © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Ravahere Taputuarai, botaniste indépendant

Ravahere Taputuarai, botaniste indépendant

À Tahiti, les marcheurs qui s’aventurent dans la vallée de la Punaruu peuvent croiser une curieuse zone clôturée sur le plateau d’altitude de Maraeti’a. Cette barrière a été installée dans le cadre d’un projet de conservation des espèces végétales endémiques de l’île, menacées d’extinction. Rencontre avec Ravahere Taputuarai, coordinateur du projet pour l’association Te Rau Ati Ati a Tau a Hiti Noa Tu, qui nous explique les complexités de la protection des forêts de Polynésie française.

Q: Le plateau de Maraeti’a est situé sur la côte ouest de Tahiti, dans la vallée de la Punaru’u à environ 800 m d’altitude. Pourquoi avoir choisi ce site en particulier pour ce projet de conservation ?

Il y a deux raisons. La première, c’est parce que ce plateau est riche en espèces végétales indigènes, dont des plantes menacées inscrites sur les listes rouges de l’UICN, et protégées en Polynésie française. La plus importante est Ochrosia tahitensis Laness. ex Pichon, qu’on appelle le Tamore mou’a ici. C’est une espèce endémique très rare, il doit y avoir moins de 200 plants sur l’île, dont une cinquantaine sur le plateau de Maraeti’a. On peut également citer le Santal polynésien (Santalum insulare Bertero ex A.DC. var. insulare), ou encore l’arbuste ‘apape mono’i (Polyscias tahitensis (Nadeaud) Harms, 1894), également endémiques de Polynésie française et tous deux menacés.

*Ochrosia tahitensis* Laness. ex Pichon © Ravahere Taputuarai

Ochrosia tahitensis Laness. ex Pichon © Ravahere Taputuarai

La deuxième raison, c’est le milieu en lui-même. C'est un milieu de transition entre la forêt mésophile, c’est à dire pas vraiment sèche mais pas non plus humide et la forêt humide. C'est un type de forêt qui est devenu assez rare à Tahiti, car il a été fortement anthropisé.

On avait donc sur ce plateau cette forêt relativement bien conservée, avec énormément de populations d'espèces protégées, qui, à terme, risquaient de disparaître. C’est ce qui nous a motivé, au sein de l’association Te Rau Ati Ati a Tau a Hiti Noa Tu, à monter ce projet de conservation des espèces rares qui sont sur ce plateau et de restauration de la forêt.

Q: Pourquoi ces plantes risquent-elles de disparaître sans intervention humaine ?

Le plateau est fortement envahi par les espèces végétales exotiques, souvent introduites sur l’île dans un but ornemental, et qui prennent aujourd’hui la place des espèces indigènes dans les milieux naturels. Il y en a trois qui sont particulièrement préoccupantes à Maraeti’a : la première est une passiflore, Passiflora maliformis L., 1753. C’est une liane qui va recouvrir les arbres et entraîner leur mort, ce qui provoque l’ouverture du milieu. Avant, on avait une grande canopée continue, maintenant, on a un couvert végétal plein de trous en raison des arbres morts à cause de la liane. La deuxième, c'est le Piti (Tecoma stans (L.) Juss. ex Kunth, 1819) un arbre qui forme des couverts denses, mais en sous-bois. Il couvre quasiment 75 % de la surface du plateau et il a pris la place de nombreuses espèces locales. Et la troisième, c’est le Tulipier du Gabon (Spathodea campanulata P.Beauv., 1805) un grand arbre aux fleurs rouges, connu partout dans le monde pour être extrêmement envahissant. Il y a d’autres espèces envahissantes, comme le Miconia (Miconia calvescens DC., 1828), mais à l’échelle de cette parcelle, ce sont vraiment la Passiflore, le Piti et le Tulipier qui sont les espèces les plus préoccupantes.

Ravahere sur la zone de conservation : on observe les lianes de la passiflore mortes et les troncs de Piti coupés suite aux interventions © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Ravahere sur la zone de conservation : on observe les lianes de la passiflore mortes et les troncs de Piti coupés suite aux interventions © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Mais ce n’est pas tout ! Il y avait également énormément de cochons sauvages et de rats qui perturbaient le processus de germination et de développement des plantules, et donc qui menaçaient à moyen et long terme cette forêt. Ce sont également des espèces qui ont été introduites à Tahiti. Par leurs activités de fouissage, les cochons retournent complètement les sous-bois. Ils consomment les graines des plantes et abîment les plantules, donc généralement quand il y a des cochons, le sous-bois ne se régénère pas. Enfin, les rats consomment les fruits de toutes ces espèces protégées. Ils rongent le fruit et grignotent les graines, qui ne sont alors plus viables, ils ont donc également un fort impact sur la régénération de la forêt.

Les espèces introduites sont la première menace pesant sur la conservation des forêts de Tahiti.

Graines d’*Ochrosia tahitensis* rongées par les rats © Ravahere Taputuarai

Graines d’Ochrosia tahitensis rongées par les rats © Ravahere Taputuarai

Q: Qu’avez-vous mis en place pour essayer de préserver cette partie de la forêt et les espèces végétales rares que l’on y trouve ?

La première chose qui a été décidée, c'est de clôturer la partie de la forêt qui comportait les plus grandes populations d'espèces endémiques pour empêcher les cochons d'y accéder. Le plateau de Maraeti’a fait à peu près une vingtaine d'hectares et la zone qui est clôturée fait un peu moins de deux hectares. Et rien que ça, ce n’est pas simple, parce que quand un cochon veut passer, il casse tout ! Ils réussissent à creuser, à défoncer le grillage ou à le lever et même si on met des piquets qui plaquent bien le grillage au sol, ils arrivent parfois à passer. Donc quasiment tous les mois, nous sommes obligés de réparer la clôture.

Réparation de la clôture endommagée © Ravahere Taputuarai

Réparation de la clôture endommagée © Ravahere Taputuarai

Le deuxième objectif, c'était de mettre en place un contrôle des rats à l'échelle du plateau. Je dis bien « contrôle », car une éradication totale n’est pas possible, puisque les rats reviennent depuis les bordures de la zone. Dans d’autres îles du Pacifique, par exemple à Hawaii, sur les sites sanctuarisés pour les oiseaux, ils utilisent des barrières conçues exprès pour empêcher les rats d’entrer une fois la zone dératisée, mais ça coûte extrêmement cher et nous ne disposons pas de moyens suffisants pour cela.

Préparation des pièges à rats © Ravahere Taputuarai

Préparation des pièges à rats © Ravahere Taputuarai

Ensuite, nous avons pu commencer à gérer les espèces végétales. D'abord, en éliminant la passiflore, qui avait complètement recouvert la végétation, que nous coupons à la main. C’est très dense, il faut donc couper petit à petit et repasser régulièrement afin de couper les rejets, jusqu’à pouvoir accéder à la base de la plante et la déterrer. Aujourd’hui, la passiflore est quasiment éliminée, bien qu’il faille toujours repasser arracher les plantules, car il y a toujours des graines qui germent dans le sol.

Pour le Piti, c’est plus compliqué. Comme il couvre quasiment 75% de la surface du sous-bois, si on l'éliminait, il faudrait alors tout de suite le remplacer par d’autres plantes, sinon cela provoquerait de grandes ouvertures dans le milieu qui constitueraient une porte ouverte à la colonisation par d’autres espèces végétales exotiques envahissantes. C’est pour cela que nous avons pour projet d’installer une pépinière sur le plateau, pour produire des plantes indigènes qui pourront être directement replantées au fur et à mesure que le Piti est éliminé. Ce sera la prochaine étape.

Quant au Tulipier, nous n’allons pas y toucher pour le moment. Il a beau être envahissant, comme il a remplacé les grands arbres indigènes, c’est lui qui compose aujourd’hui la majorité de la canopée et, avant de nous en occuper, il faudra attendre que d’autres arbres indigènes grandissent pour pouvoir le remplacer.

Q: C’est donc un travail sur le long terme ?

Oui, il faut bien réaliser qu’on parle d’arbres qui mettent des années à grandir, donc forcément d’une longue temporalité. Les premières discussions au sujet de ce projet ont eu lieu en 2009. En 2012, nous avons réalisé l'étude de faisabilité, pour laquelle nous avons fait venir des spécialistes de Hawaii et de Nouvelle-Zélande. Ensuite, il a fallu trouver des financements, et nous avons réellement commencé les opérations en 2017 avec la mise en place de la clôture, puis la dératisation en 2018, et cela fait seulement deux ou trois ans que nous avons commencé la gestion des espèces végétales exotiques envahissantes.

Q: Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés avec ce projet ?

Comme je le disais, c’est un projet sur le long terme, c’est ce qui le rend complexe, car il est difficile d’avoir des financements pérennes. Nous répondons à des appels à projet, par exemple ceux de l’OFB qui nous a financé de 2019 à 2020 (AAPOM), puis 2020 à 2022 (Mobbiodiv). Mais la plupart de ces financements sont ponctuels, ce qui crée une discontinuité. C’est notamment un problème pour la gestion des rats, qui est sans fin : le temps de retrouver des financements, la régulation s’arrête, donc les populations repartent. Pour éviter ces discontinuités, nous sommes en train de passer progressivement à des pièges semi-automatiques, qui à terme, nécessiteront moins de main d’œuvre, mais qui sont très chers à l’achat !

C’est également pour cette raison que le projet de pépinière est en pause : le matériel a été acheté et héliporté sur le plateau, mais il nous faut trouver d’autres financements pour continuer à le développer et cela prend beaucoup de temps. C’est important de pouvoir mettre en place cette pépinière directement sur le plateau, déjà parce que ce serait difficile de transporter les plants - il y a au moins 5h de marche pour atteindre le site et ce n’est pas une zone facile d’accès - mais aussi, pour éviter le risque d’introduction de nouvelles espèces, végétales ou d’invertébrés.

Enfin, nous n’avons pas la maîtrise foncière du site, ce sont des terres privées. Nous avons dû demander l’autorisation à la famille propriétaire, en établissant une convention. Pour l’instant, ils sont d’accords, mais s’ils changent d’avis, nous n’aurons pas notre mot à dire.

Une partie de l’équipe sur le terrain © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Une partie de l’équipe sur le terrain © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Q: Quelle est la perception de votre projet par les habitants de la vallée ?

Le projet est mené par Te Rau Ati Ati a Tau a Hiti Noa Tu en partenariat avec l’association pour la protection de la vallée de la Punaru’u, l’association des co-propriétaires de la vallée et la commune de Punaauia. Au début, il ne faisait pas l’unanimité, il a fallu expliquer, participer à des évènements, mettre des panneaux pour que les gens comprennent bien l’intérêt. Il est maintenant bien accepté, notamment parce que la dératisation a aussi permis d’augmenter la production d’oranges, une spécialité de la vallée de la Punaru’u. Les acteurs de la vallée ont même demandé à l'association de produire un petit guide sur les plantes locales, pour qu’ils évitent de couper des plantes rares et protégées lorsqu’ils montent leurs campements, et ils sont très intéressés à l’idée d’une formation pour bien les reconnaître.

Pour en savoir plus, suivez les actualités de l’association Te Rau Ati Ati a Tau a Hiti Noa Tu sur leur page facebook. Pour toute question sur le projet contactez Ravahere Taputuarai rtaputuarai@gmail.com. Découvrez la page territoire de la Polynésie française et la page de la délégation Polynésie française OFB

Image{imageId=4480, alt='Groupe de manchots royaux sur l’île de la Possession (Iles Crozet) © Passagers des sciences', multiSize=false} Element{id=82051, type=IMAGE, key='presentation.image'}
entretien suivant

« Passagers des sciences » : partager la recherche scientifique de terrain aux élèves