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« Passagers des sciences » : partager la recherche scientifique de terrain aux élèves

Propos recueillis par Manon Ghislain - Publié le 18 janv. 2024
Groupe de manchots royaux sur l’île de la Possession (Iles Crozet) © Passagers des sciences

Groupe de manchots royaux sur l’île de la Possession (Iles Crozet) © Passagers des sciences

Francine Brondex et Eric Bataillou, Fondateurs de Passagers des sciences

Francine Brondex et Eric Bataillou, Fondateurs de Passagers des sciences

Dévoiler aux élèves les dessous de la science, telle qu’elle se fait sur le terrain, c’est le défi que se sont lancés Francine et Éric avec leur association Passagers des sciences. Leur objectif : émerveiller les classes avec des lieux extraordinaires, pour susciter des vocations et éduquer à l’esprit critique. Après avoir embraqué sur le Marion Dufresne direction les Terres australes et antarctiques françaises, puis sur le Polarfront pour naviguer vers l’Arctique, ils rentrent aujourd’hui d’un récent voyage à Saint-Pierre et Miquelon. Retour sur ces aventures toutes fraîches !

Q: Pourquoi avoir créée « Passagers des Sciences », quel est le but de cette association ?

La toute première motivation de notre association est de partager la science de terrain, en direct, par des rencontres. L’idée est de montrer que la recherche scientifique n’est pas réalisée que par un chercheur dans un bureau ou un laboratoire, mais aussi de montrer ce qu’est la récolte de données sur le terrain et de faire découvrir tous les métiers « ordinaires » nécessaires à la recherche, souvent dans des lieux extraordinaires. C’est là que commence la science. Nous voulons ainsi donner une autre image de la science, montrer à quel point c’est passionnant, pour allumer des étoiles dans les yeux des élèves et faire naître des vocations.

Nous sommes enseignants et nous proposons, via les projets de l’association, aux classes de travailler autour des thèmes scientifiques sur une année entière. Les élèves peuvent ainsi réfléchir aux problématiques actuelles sur les sciences, la biodiversité, les changements climatiques… Nous réalisons un gros travail en amont avec les chercheurs pour proposer des ressources pédagogiques pour tous les niveaux scolaires, du CP au lycée. Ce travail est bénévole et environ 500 à 600 classes suivent chacun de nos projets.

Prise de vue sur le terrain à Kerguelen avec Adrien, agent de la Réserve naturelle © Passagers des sciences

Prise de vue sur le terrain à Kerguelen avec Adrien, agent de la Réserve naturelle © Passagers des sciences

Q: Pourquoi est-il important d’éduquer les scolaires à la science ?

Dans un monde soumis à une grande confusion entre les faits étayés et les opinions, il est indispensable d’expliquer comment fonctionnent la science et les productions scientifiques, et pourquoi elles sont si différentes de simples croyances. La distinction n’est pas toujours évidente pour les élèves, mais, montrer la solidité des résultats scientifiques grâce au travail de terrain, éduque leur esprit critique. Aujourd’hui, la science est partout : changements climatiques, COVID... Il est indispensable de donner des outils aux élèves pour qu’ils puissent s’orienter dans cet excès d’informations. De plus, en élargissant les horizons des élèves, en leur montrant que le monde qui les entoure est beau, même s’il est en danger, nous ouvrons une fenêtre depuis leur quotidien et nous les sensibilisons à sa protection.

Q: Où se sont déroulés vos projets et pourquoi ces territoires ?

Notre tout premier projet était d’embarquer sur le Marion Dufresne, le navire ravitailleur des bases scientifiques des Terres australes et antarctiques françaises. Nous avons ainsi pu faire escale sur les îles Crozet, Kerguelen et Amsterdam. L’avantage, c’est que tous les scientifiques étaient à portée de main, donc nous pouvions facilement leur poser des questions. Nous avons ensuite embarqué sur le Polarfront pour un voyage en Arctique, dans l'archipel du Svalbard. Pour ce projet, nous avions rencontré beaucoup de scientifiques en amont. Enfin, nous revenons tout juste de Saint-Pierre et Miquelon où se déroulait un congrès scientifique auquel nous avons pu participer pour échanger avec de nombreux acteurs de la recherche.

Ces territoires ne sont pas forcément connus, mais sont très attractifs pour leurs projets scientifiques nombreux et variés. Ces terres lointaines permettent aussi de faire rêver, en étudiant des problématiques scientifiques importantes.

Interview de scientifiques sur le Marion Dufresne © Passagers des sciences

Interview de scientifiques sur le Marion Dufresne © Passagers des sciences

Q: Vous êtes donc de retour de Saint-Pierre et Miquelon, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots les différentes étapes de votre projet là-bas ?

Il y a une grosse phase de travail en amont du voyage. Nous prenons contact avec des scientifiques qui travaillent sur place pour trouver des thèmes en adéquation avec les programmes scolaires. Nous cherchons également des partenaires institutionnels pour monter le projet avec eux. Ensuite, nous cherchons des financements pour le projet.

La deuxième étape, c’est l’ingénierie pédagogique : sur chaque thème, nous échangeons avec les chercheurs, nous récupérons des informations, des données et des articles pour les traduire sous forme de dossiers pédagogiques utilisables clés en main par les enseignants. Cette partie demande beaucoup d’heures de travail pour tout rédiger, organiser, et mettre en ligne. Tout se fait en amont de l’année scolaire. Nous ouvrons ensuite un espace en ligne pour que les scolaires puissent poser des questions aux scientifiques à travers nous.

Pour répondre à ces questions, la troisième étape est le voyage sur le terrain pour rencontrer les scientifiques et les acteurs locaux (comme l’Office français de la biodiversité, les services de l’État…). Nous filmons des entretiens pour ensuite publier les vidéos progressivement après le voyage. Au cours du voyage, nous tenons également un journal de bord sous forme de blog pour raconter nos aventures : où nous allons, ce que nous voyons (animaux, flore, paysages, rencontres…).

À notre retour et tout au long de l’année scolaire, les élèves peuvent continuer à nous poser des questions et nous essayons de trouver des spécialistes pour y répondre. Nous pouvons, par exemple, organiser des visioconférences entre les classes et les spécialistes pour échanger.

Q: Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à Saint-Pierre et Miquelon ?

Ce qui nous a marqué, ce sont les rencontres, par exemple avec Roger Etcheberry, un naturaliste de 80 ans entièrement autodidacte. Il a commencé à pêcher à 14 ans sur les doris (des petits bateaux à fond plat qui étaient utilisés pour la pêche), puis il a travaillé dans le domaine des communications et un jour, il a décidé de s’intéresser aux oiseaux de son île. Ensuite, il s’est passionné pour la flore, en créant un herbier de 2 000 planches, puis pour les mousses et leur identification. Il est donc devenu un grand spécialiste naturaliste de la faune et la flore de Saint-Pierre et Miquelon. Il travaille aujourd’hui sur la photo-identification des baleines à bosse autour de l’archipel (avec entre 5 000 et 6 000 individus suivis).

Les doris devant les salines dans le port de Saint-Pierre © Passagers des sciences

Les doris devant les salines dans le port de Saint-Pierre © Passagers des sciences

Q: Quelles sont les différences et les points communs entre Saint-Pierre et Miquelon et les territoires que vous avez visités précédemment ?

Le point commun entre Saint-Pierre et Miquelon, les Terres australes et le Svalbard, c’est l’isolement géographique et l’insularité, avec des latitudes et/ou un climat extrêmes. La différence, c’est la dimension humaine. Dans les Terres australes, ce sont des bases scientifiques sans habitants sédentaires. Saint-Pierre et Miquelon, par contre, est habité depuis longtemps (d’abord par des peuplements autochtones, puis par des pêcheurs basques, bretons et normands), et donc possède une histoire archéologique et un patrimoine beaucoup plus présents. Avec ce projet, c’était nouveau pour nous la rencontre avec des habitants, dont certains sont passionnés par le patrimoine local ou par la biodiversité.

Vue sur le village de Miquelon © Passagers des sciences

Vue sur le village de Miquelon © Passagers des sciences

Q: Quels sont les enjeux qui pèsent sur ces territoires et comment faire pour les préserver ?

Nous ne sommes pas experts de ces enjeux, mais nous avons beaucoup échangé avec des personnes qui le sont. Une des grosses menaces qui pèsent sur ces territoires, ce sont les changements climatiques. À Kerguelen, le plus grand glacier français recule de plus en plus. Au Svalbard, c’est l’Arctique, une région qui se réchauffe 5 à 6 fois plus vite que le reste de la planète. À Saint-Pierre et Miquelon, les habitants en subissent aussi les effets. Avec la montée du niveau océanique et l’érosion, l’isthme qui relie Miquelon et Langlade est rongé à chaque tempête, rendant impraticable la route pourtant très importante pour la vie locale. De même, le village de Miquelon, situé au nord sur un banc de galets, est particulièrement vulnérable au risque submersion et inondation, dans un contexte où la fréquence et l’intensité des tempêtes augmentent. La vie des habitants est donc déjà impactée, ce qui change leur regard sur ces problématiques.

Il y a également beaucoup de travaux de chercheurs pour étudier la biodiversité menacée : à Kerguelen, pour réduire les effets de la pêche à la légine sur les albatros, en Arctique pour suivre les populations d’ours ou de rennes. À Saint-Pierre et Miquelon, à l'occasion du congrès sur les sciences aquatiques, des exemples de projet ont été présentés où les chercheurs, les pêcheurs et les acteurs locaux travaillent ensemble pour créer un dialogue et trouver des solutions. Le savoir de terrain accumulé par les pêcheurs, transmis à la science, donne des solutions appropriées : quand ce dialogue se met en place, ça marche ! C’est ce que nous voulons transmettre dans nos projets.

Observation de rennes du Svalbard, en baie du roi © Passagers des sciences

Observation de rennes du Svalbard, en baie du roi © Passagers des sciences

Q: Quels sont les futurs projets de l'association « Passagers des Sciences » ?

Nous avons beaucoup de scrupules à parler de changements climatiques en menant des projets qui impliquent de prendre l’avion. Nous réfléchissons actuellement à monter des projets localement. Nous envisageons par exemple d’organiser des résidences pédagogiques en hexagone, en résidant une ou deux semaines dans un laboratoire ou une station scientifique, pour observer le travail de la recherche au quotidien. Mais nous n’oublions pas les outre-mer, qui sont un réservoir de biodiversité et de sciences à partager !

Pour en savoir plus, découvrez le site de l’association Passagers des sciences. Vous pouvez également consulter les pages territoires des Terres australes françaises, de Terre Adélie et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que les indicateurs sur la biodiversité de Saint-Pierre-et-Miquelon : le suivi des Phoques ainsi que de la surface de forêt boréale.

Image{imageId=4496, alt='Equipe de terrain (de gauche à droite) : Amaia Iribar, Frédéric Petitclerc, Anne-Sophie Benoiston, Céline Leroy, Finn Piatscheck, et Cécile Richard-Hansen © Céline Leroy ', multiSize=false} Element{id=82164, type=IMAGE, key='presentation.image'}
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