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reportage Saint-Pierre-et-Miquelon

Espèces introduites : un bouleversement des écosystèmes

Publié le 8 mars 2023
Forêt de Miquelon © Delphine Gioani - OFB
Forêt de Miquelon © Delphine Gioani - OFB
Delphine Gioani - Office français de la biodiversité

Delphine Gioani - Office français de la biodiversité

L’introduction d’espèces exotiques est l’un des 5 facteurs de diminution de la biodiversité à l’échelle mondiale, et l’impact de la prolifération de ces espèces est particulièrement marqué dans les milieux insulaires.
L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a pas été épargné par ce phénomène. Petit tour d’horizon des espèces introduites les plus problématiques localement et de leurs impacts.

Cerf de Virginie, *Odocoileus virginianus* © Gaëtan Renoux - OFB
Cerf de Virginie, Odocoileus virginianus © Gaëtan Renoux - OFB

« Cet élégant cervidé est un Cerf de Virginie (Odocoileus virginianus), appelé localement chevreuil. Ce mammifère, très commun sur le continent américain, est reconnaissable à son panache blanc sous la queue, qui s’élève lorsqu’il court pour prévenir ses congénères du danger. En 1953, sept couples en provenance de la Nouvelle-Écosse ont été introduit sur les îles de Langlade et de Miquelon afin de pratiquer la chasse. Depuis, de part une absence de prédateurs naturels et une pression de chasse insuffisante, l’espèce s’est fortement développée, au point d’être en surabondance et créer un déséquilibre dans la forêt boréale : par sa consommation de jeunes pousses et de bourgeons, le cerf entrave la régénération de la forêt. Cela s’additionne à la même pression exercée - dans une moindre mesure - par le Lièvre d’Amérique, lui aussi introduit pour la chasse, en 1881. Ces herbivores introduits représentent aujourd’hui la cause majeure de la régression forestière de l’archipel, qui a perdu au moins 35 % de sa superficie depuis 1952. »

Pince à bourgeon sur Sapin baumier © Doriane Blottière - Patrinat
Pince à bourgeon sur Sapin baumier © Doriane Blottière - Patrinat

« Ce petit dispositif permet de protéger le bourgeon terminal des jeunes pousses de Sapin baumier (Abies balsamea) des dents du Cerf. Les jeunes plants sont parfois également enduits de graisse de mouton pour repousser les herbivores. Mais ces solutions alternatives, qui aident la régénération de la forêt, ne peuvent pas être généralisées à l’ensemble des espaces boisés de l’archipel, en raison de l’ampleur de la tâche et des difficultés d’accès à certaines zones. »

Déformations et défoliation provoquées par le puceron lanigère sur un sapin © Bruno Letournel
Déformations et défoliation provoquées par le puceron lanigère sur un sapin © Bruno Letournel

« Si les vertébrés introduits représentent la menace la plus importante pour la forêt, ils ne sont pas la seule, et certains organismes beaucoup plus petits font également des dégâts ! Le puceron lanigère du sapin (Adelges piceae) est un insecte microscopique, introduit en Amérique du Nord depuis l’Europe dans les années 1900. Il se nourrit de la sève du Sapin baumier, qui représente l’essence majoritaire à 80% de la forêt boréale locale. En aspirant les sucs, il détériore la distribution de l’eau et des éléments nutritifs dans l’arbre. Ce phénomène génère la perte des aiguilles et le gonflement des rameaux leur donnant un aspect crochu, et peut conduire à la mort de l’arbre en quelques années. Petit à petit, il se disperse sur l’archipel et engendre de réelles inquiétudes. Une cartographie des zones infestées est en cours de réalisation par l’Office français de la biodiversité. »

Crabes verts collectés lors des suivis © Gianni Boissel
Crabes verts collectés lors des suivis © Gianni Boissel

« Le milieu marin n’est pas épargné par les introductions d’espèces. Originaire des côtes Atlantiques de l’Europe, le Crabe vert (Carcinus maenas) a été involontairement introduit dans le Pacifique et dans l'Atlantique Ouest depuis le XIXe siècle. Il est particulièrement redouté aux États-Unis et au Canada pour sa prédation sur les élevages de mollusques.
Ubiquiste, le crabe vert vit dans différents milieux : fonds sableux et vaseux, côtes rocheuses, herbiers, mais aussi dans les eaux polluées et les estuaires car il tolère des taux très faibles de salinité. Quatre mâles ont été identifiés pour la première fois en 2013 dans le Grand Étang de Miquelon, mais on estime que sa présence dans les eaux de l’archipel date de 2010. Le Crabe vert fait aujourd’hui l’objet d’un suivi pour évaluer la dynamique de l’invasion et les conséquences de sa présence dans l’écosystème marin de l’archipel. En 2020, une centaine d’individus ont été capturés à l’aide de 18 casiers dans le Grand Étang de Miquelon. En 2022, l’effort de capture a été augmenté à 135 casiers, déployés au Grand Barachois, dans le Grand Étang de Miquelon, dans l’anse de Miquelon et à Saint-Pierre, afin de couvrir plus de surface. »

*Codium fragile* © Herlé Goraguer
Codium fragile © Herlé Goraguer

« Restons encore un instant en mer ! Le Codium fragile est une d’algue originaire du Pacifique, introduite en Méditerranée en 1940 puis dans l'Atlantique Nord. Menace pour la stabilité des écosystèmes, il inquiète aussi les professionnels de l’aquaculture. En se fixant aux mollusques (comme les myes, les pétoncles et les huîtres), le Codium empêche l’ouverture des coquilles et perturbe leur alimentation. Lorsque l’algue est déplacée par le mouvement des vagues, elle entraine avec elle le mollusque sur lequel elle est fixée, d’où son nom de « voleuse d’huîtres ».
A Saint-Pierre-et-Miquelon, elle a été détectée par l'Ifremer dans le Grand Étang de Miquelon en 2010. Une première opération d’enlèvement a eu lieu sur ce site en 2012 par l’Ifremer et l'ARDA et s'est poursuivie jusqu'en 2014 ; aujourd’hui un suivi est maintenu par la DTAM. »

Chevaux dans une prairie envahie de Seneçon © Delphine Gioani
Chevaux dans une prairie envahie de Seneçon © Delphine Gioani

« La présence de ces fleurs jaunes dans cette prairie n’est pas bon signe pour ces équidés : leur consommation est toxique et plusieurs animaux y ont déjà succombé ! De la famille des Astéracées, le Séneçon Jacobée (Jacobaea vulgaris) est une herbacée originaire d’Europe, introduite sur le continent américain via le transport de marchandises et de matières organiques ; il est présent sur l’archipel autour des années 2000. Il s’adapte à tout type d’habitat à faible concurrence végétale, comme les remblais, les gravats, les zones érodées ou les dunes, et se propage de plusieurs manières, par rhizomes et par graines, ce qui rend sa propagation rapide et difficilement contrôlable. »

Arrachage de Seneçon avec les enfants © Delphine Gioani
Arrachage de Seneçon avec les enfants © Delphine Gioani

« La plante est aujourd’hui présente sur toutes les îles de l’archipel. Si elle a des difficultés à s’implanter en milieux fermés, la régression de la forêt lui offre un terrain favorable à sa dispersion. Un plan territorial de gestion est mis en place chaque année pour lutter contre son expansion et détruire les nouveaux foyers. Son objectif est de fédérer un maximum d’acteurs locaux. Les particuliers sont invités à contribuer aux efforts d’arrachage en complément du travail des agents de la collectivité. Des opérations de sensibilisation sont régulièrement organisées, et des points de collecte sont mis en place pour ramasser les plantes arrachées. Attention toutefois : il est nécessaire de ne pas arracher la plante en septembre, au moment de la mise en graine pour éviter la propagation de ces dernières ! »

Suivis de la dispersion du puceron lanigère par les agents de l’OFB © OFB
Suivis de la dispersion du puceron lanigère par les agents de l’OFB © OFB

« Ces espèces sont actuellement les plus préoccupantes à Saint-Pierre-et-Miquelon, pour l’impact qu’elles engendrent sur les écosystèmes de l’archipel, mais également pour leur potentielles conséquences économiques. Fort heureusement, toutes les espèces exotiques introduites ne deviennent pas envahissantes mais le développement excessif de quelques-unes d’entre elles suffit à déséquilibrer les écosystèmes et menacer la biodiversité. « Mieux vaut prévenir que guérir » est ici un bon adage, et l’introduction de nouvelles espèces doit à tout prix être évitée. Parmi les bons gestes à avoir pour éviter l’introduction et la propagation d’espèces exotiques : ne ramenez pas d’espèces animales ou végétales de vos voyages et ne relâchez pas d’espèces domestiques dans le milieu naturel. »


Pour en savoir plus : consultez le site du Réseau espèces exotiques envahissantes outre-mer.


Reportage réalisé par Delphine Gioani (OFB), avec la collaboration de Louis Quenée et Bruno Letournel (OFB), Herlé Goraguer (Ifremer), Frank Urtizbéréa et Gianni Boissel (DTAM Service biodiversité)

Colonie de Corallimorphaire verruqueux (*Rhodactis osculifera*) © Fabien Lefebvre
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