Quand les fonds marins s'illuminent...
Publié le 30 août 2022Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre, association ACWAA
Les récifs coralliens sont parmi les écosystèmes marins les plus riches en biodiversité. Leur structure complexe offre nourriture, refuge et protection à de très nombreuses espèces (poissons, mollusques, crustacés, etc). Certains coraux possèdent une protéine à la particularité surprenante : exposés à une certaine intensité lumineuse, ils se parent de couleurs fluorescentes. Partons en plongée nocturne sur les récifs coralliens de Martinique à la rencontre de ce phénomène fascinant : la fluorescence des coraux.
« Si la lumière du soleil et les éclairages domestiques nous permettent de distinguer les différentes couleurs qu’un œil humain est capable de voir naturellement, l’utilisation de lumières artificielles particulières comme les lumières bleues ou ultraviolettes permettent de révéler les couleurs fluorescentes de certains organismes marins. Cela est dû à une protéine qu’ils possèdent naturellement qui, stimulée par l'absorption d’une source de lumière de fréquence particulière appelée « lumière d'excitation », la restitue ensuite sous forme de « lumière d’émission » avec des couleurs différentes selon la nature de la protéine. C’est ce que l’on appelle la fluorescence. »
« Une source d'éclairage classique ne peut pas rendre visible le phénomène, j’utilise donc une lampe avec une lumière bleue pour que les coraux révèlent ces surprenantes couleurs. De plus, il s'arrête quasiment immédiatement lorsqu’on éteint la lumière d’excitation, contrairement au phénomène de phosphorescence, dont l’émission de lumière se prolonge après l’arrêt de la lumière d’excitation (comme les étoiles décoratives collées au plafond des chambres d'enfants par exemple). À ne pas confondre non plus avec la bioluminescence, qui est une production de lumière émise directement par un organisme vivant, sans éclairage extérieur. »
« Lors de mes plongées, je rencontre souvent ce poisson, l’Anoli des sables (Synodus intermedius). Ce jour-là, ayant équipé mon appareil photo du dispositif pour la fluorescence que j’utilise habituellement sur les coraux, j'ai tenté l’expérience pour voir s'il y réagissait. À ma grande surprise le résultat était positif, contrairement aux autres espèces de poissons rencontrées aux alentours. »
« Le corail cerveau symétrique (Pseudodiploria strigosa) porte bien son nom ! Avec sa couleur verte révélée par ma lumière, sa forme et l’angle de prise de vue, on pourrait penser qu’il sort tout droit d’un décor d’Halloween ! »
« Le Corallimorphaire jongleur (Corynactis caribbeorum) est peu commun et difficile à repérer en journée car tous ses tentacules sont rétractés. Il est plus facilement observable la nuit lorsque ceux-ci sont déployés. Un trop fort apport de lumière lui fera cependant les rétracter, il aura alors l'apparence d’un gros polype plus ou moins conique. Il est surnommé “jongleur” car les bras de ses tentacules sont translucides et que les boules orange à leurs extrémités semblent en apesanteur au-dessus de lui. Ses tentacules contiennent des cellules urticantes. Il les utilise pour se défendre et se nourrir en piégeant des petits poissons, des crustacés et le zooplancton. Il a la particularité de ressentir les moindres variations de pression aux alentours, lui permettant de projeter ses tentacules sur une proie potentielle. La fluorescence sublime davantage son apparence déjà atypique. »
« Sur la droite de ce corail-étoilé massif (Orbicella annularis) on peut voir une zone blanche. Il s’agit de coraux morts de la maladie corallienne liée à la perte de tissus des coraux durs nommée SCTLD (Stony Coral Tissue Loss Disease), observée pour la première fois en septembre 2020 en Martinique. Le phénomène que les scientifiques cherchent à comprendre est très préoccupant à cause de sa rapidité de contagion. Une bactérie pourrait être le facteur pathogène. La contamination entre coraux se ferait par contact direct, il est recommandé aux plongeurs de ne pas toucher les coraux, qu’ils soient sains ou morts, pour ne pas propager la maladie, et nettoyer et désinfecter le matériel entre chaque plongée.
Les points rouges que l’on voit autour du corail sont des micro-organismes translucides qui, attirés par la lumière que j’utilise, grouillent par millions devant l'objectif. Cela rend très complexe les photos d’ambiances, mais dans certaines situations ils apportent une dimension féérique. »
« Le Porite digitée (Porites divaricata) est un corail branchu agréable à observer. De jour, ses couleurs oscillent entre le mauve et le marron. La nuit, la fluorescence s’ajoute à l’équation. »
« Pour cette image, la lumière bleue/UW à permis d’isoler complètement cette Rose de Corail (Manicina areolata).
Le chimiste Osamu Shimomura a révolutionné la science en 1962 grâce à la découverte de la protéine à l'origine de la fluorescence, appelée GFP (Green Fluorescent Protein) et extraite de la méduse Aequorea victoria. En 2008, avec deux autres chercheurs il reçoit le prix Nobel de chimie en utilisant la GFP dans le domaine médical. En biochimie, elle peut être associée à d’autres protéines afin d’être utilisée comme marqueur, par exemple pour les recherches sur le cancer, en marquant les cellules cancéreuses pour suivre et modéliser les métastases. »
« La photographie sous-marine est une discipline exigeante et beaucoup de paramètres entrent en jeu pour réussir une image : la turbidité de l’eau, les particules en suspension, le courant, le mouvement, la perte rapide des couleurs, le manque de luminosité, etc. Lors d’une plongée nocturne, ces paramètres se complexifient ! Les photos d’ambiances nocturnes en fluorescence représentent un défi supplémentaire car le spectre bleu et/ou UV réduit les possibilités de captation de lumière de l’appareil photo. La réussite réside dans l’équilibre complexe entre la distance avec le sujet, la qualité de l’éclairage, la stabilité du photographe et les capacités de l’appareil photo. »
« Les corallimorphaires verruqueux (Rhodactis osculifera) sont des organismes proches des anémones. La plupart du temps, ils sont complètement ouverts en forme de disque plat. Carnivores, ils se replient en boule lorsqu’ils capturent une proie et l'apportent jusqu'à leur orifice central à l’aide des tentacules. En fluorescence le spectacle est grandiose ! Ils me font penser à de grosses bactéries observées au travers d’un microscope. »
« Le Spirobranche-arbre de Noël (Spirobranchus giganteus) est un ver polychète qui vit dans un tube calcaire encastré dans les coraux. Il ne laisse visible que ses deux spirales de tentacules colorés qui lui permettent de se nourrir de plancton. »
« Le monde marin dans lequel nous nous invitons est fascinant. Spectateur curieux envers la vie aquatique, je plonge régulièrement pour dénicher de nouveaux sujets. Sans mon équipement pour la fluorescence, du haut de ces 5 ou 6 centimètres, ce tout petit corail perché incognito sur une roche, serait passé totalement inaperçu. »
« Les formes géométriques des coraux représentent un spectacle si fascinant qu’on peut parfois se retrouver captivé. Cette image m’a laissé un souvenir « épineux » : la nuit, les oursins diadèmes sont plutôt actifs. J'étais à une faible profondeur lors de cette prise de vue, et une vague plus forte que les autres m’a légèrement fait déraper vers une roche dont un oursin escaladait le sommet. Ce petit écart a suffi pour effleurer les épines de l’oursin, provoquant de multiples perforations dans ma main, même à travers les gants. J’y ai gagné une paralysie ponctuelle et douloureuse de la main pendant environ 30 minutes. L’oursin, lui, est resté intact et n’a même pas bougé. Malgré toutes les précautions et l’habitude de plonger, il convient de rester prudent et attentif car les incidents peuvent toujours arriver. »
« Le phénomène de fluorescence est encore largement méconnu. Plusieurs hypothèses ont été émises par la communauté scientifique à son sujet. Une interaction serait possible entre les pigments fluorescents de l’animal et les algues symbiotiques qui opèrent la photosynthèse (zooxanthelles). Ils pourraient jouer le rôle de “filtre de protection solaire” leur permettant d’exploiter les ondes lumineuses nocives du soleil. Ceci pourrait expliquer pourquoi les coraux fluorescents semblent mieux résister au phénomène de blanchiment, notamment en eau peu profondes.
Dans les eaux plus profondes, avec moins de lumière, la fluorescence permettrait d’accentuer le processus de photosynthèse et faciliter le développement de ces organismes. Elle pourrait également être un moyen de défense du corail, en changeant son aspect visuel dans le but de faire fuir ses prédateurs, ou inversement certaines espèces s’en serviraient pour attirer leurs proies. La poursuite des travaux est nécessaire pour tenter de mieux comprendre ce phénomène. »
Pour en savoir plus sur la biodiversité de Martinique, consultez la page portrait du territoire. Pour plus d'informations sur l'association ACWAA consultez le site internet et la page Facebook de l'association.