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Restaurer la forêt de bord de mer à Tahiti

Par Doriane Blottière - Publié le 22 sept. 2023
Panneaux de sensibilisation sur la parcelle restaurée © Doriane Blottière
Panneaux de sensibilisation sur la parcelle restaurée © Doriane Blottière

Sur la côte ouest de Tahiti, sur la commune de Paea, au point kilométrique 26.4, la rivière Paihau rejoint le lagon. Sur un littoral tahitien largement urbanisé et de plus en plus artificialisé, la petite zone de végétation de quelques hectares, qui entoure l’embouchure de la rivière et fait face au lagon, est l’une des dernières reliques de végétation littorale indigène de l’île. Dégradée et réduite à l’état de lambeau, envahie par des plantes introduites et polluée par des déchets, cette zone a fait l’objet d’un projet expérimental de restauration de la végétation. Visite et explications avec Jean-Yves Hiro Meyer, écologue et botaniste à la Délégation à la recherche de Polynésie française.

En bordure de route, la parcelle restaurée se trouve sur un terrain appartenant au Pays (territoire de la Polynésie française) et affecté à l’Institut Louis Malardé, l’un des collaborateurs du projet. FAPE (Fédération des associations de protection de l’environnement de Polynésie française), Délégation à la recherche de la Polynésie française, IRD (Institut de recherche et développement), Comité français de l’UICN, éco-musée Te Fare Natura, écologues indépendants, ils sont nombreux à avoir apporté leur aide pour mener à bien ce projet de restauration, avec le soutien financier du programme européen BEST.

Pourquoi conserver la végétation littorale indigène ?
Si l’artificialisation du littoral ralentit ponctuellement et localement les dégâts causés par les fortes houles, les cyclones et les tempêtes, les remblais, les murs et les enrochements accentuent en réalité les problèmes sur les zones situées en amont ou en aval, en modifiant les courants marins et en perturbant le déplacement naturel du sable. In fine, ces aménagements participent à éroder davantage le littoral à long terme, et entraînent des modifications du fonctionnement des écosystèmes lagonaires. Or, la végétation littorale indigène ou « native » (prairie salée, forêt littorale, submangrove - il n’y a pas, au sens strict, de mangrove indigène de Polynésie française -) protège naturellement les côtes de l’érosion. Dans un contexte d’intensification des phénomènes naturels lié au réchauffement climatique, la re-végétalisation du littoral avec des espèces adaptées aux contraintes écologiques des sites apparaît comme une solution fondée sur la nature permettant de limiter l’érosion des côtes, mais aussi de préserver la biodiversité de Polynésie française.

Déchets sur la parcelle avant le début du projet de restauration © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française
Déchets sur la parcelle avant le début du projet de restauration © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

L’accès à la parcelle restaurée est libre, « il est important que les riverains puissent continuer à accéder au site, pour se reposer ou pêcher dans le lagon. Malheureusement, ça veut dire aussi qu’on retrouve encore des déchets, alors qu’on a fait un gros nettoyage au début du projet. » confie Jean-Yves en ramassant une canette de bière abandonnée. En plus des carcasses de voitures, restes de vieilles cabanes et autres déchets qui ont été enlevés, les espèces végétales introduites envahissantes ont été éliminées avant de pouvoir replanter des espèces indigènes - ou issues de très anciennes introductions polynésiennes, faisant désormais partie du patrimoine naturel et culturel de l’île.

Il a fallu ensuite produire les plants : des graines ont été collectées sur différentes îles de l’archipel de la Société (Tahiti, Moorea, atoll de Tetiaroa) et mises à germer dans une pépinière spécialement construite pour le projet, ainsi qu’en laboratoire à l’Université de la Polynésie française grâce à l’IRD. La replantation sur le site s’est ensuite faite selon un itinéraire précis, en tenant compte des caractéristiques écologiques des espèces : par exemple certaines lianes rampantes comme Ipomea pes-caprae (« pōhue tātahi » en tahitien) préfèrent les zones sableuses, certains arbustes comme Scaevola taccada (« naupata ») ou Suriana maritima (« ‘o’uru ») supportent bien les embruns salés, et les grands arbres Guettarda speciosa (« tāfano ») et Pisonia grandis (« pu’atea ») préfèrent les arrière-plages plus protégées. Ces caractéristiques propres à chaque espèce (substrat, tolérance à la lumière, vitesse de croissance, etc.) sont présentées sur des panneaux explicatifs disséminés sur la parcelle, car la sensibilisation est également un volet important du projet. Des animations organisées avec les scolaires ont permis de faire connaître les plantes (noms scientifiques, noms tahitiens, utilisations, etc.) et d’expliquer l’importance de la conservation de la végétation littorale à plus de 300 élèves de Tahiti et de les impliquer activement dans la replantation.

Visite de la pépinière avec des scolaires © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française
Visite de la pépinière avec des scolaires © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Les caractéristiques de la végétation littorale des îles de la Société
Les forêts littorales et marécageuses de basse altitude sont parmi les habitats naturels les plus menacés dans les îles de Polynésie française. Ces écosystèmes ont été transformés ou détruits par les activités humaines (urbanisation, agriculture, pollutions) ou remplacés par la mangrove à Rhizophora stylosa, palétuvier introduit à Tahiti et à Moorea à partir des années 1930.

La conservation du site de Paea, avec ses vestiges de forêt littorale à Talipariti tiliaceum (« pūrau » dont l’écorce est traditionnellement utilisée pour faire des cordages), sa grande prairie salée à Paspalum vaginatum (« matie mā'ohi », plante médicinale) et sa petite ripisylve à Inocarpus fagifer (« māpē », aux fruits comestibles) revêt donc une grande importance patrimoniale.

Plantation avec les scolaires © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française
Plantation avec les scolaires © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Au total, 18 espèces natives ou patrimoniales de Polynésie française ont été replantées sur le site avec un fort taux de survie des plantes : 80% de la quarantaine d’individus plantés ont survécu jusqu’à présent, sans arrosage ni apport d’engrais et des leçons sont apprises des quelques échecs de transplantation : « nos plants de la petite herbacée Portulaca lutea (pourpier indigène) ont probablement été implantées trop près du rivage et étaient trop fragiles pour supporter la houle ».

Les plantes ne sont pas les seules à s’épanouir sur le site, qui fournit le gîte et le couvert à une faune de vertébrés et d’invertébrés diverse : crustacés (crabes terrestres appelés « tupa »), papillons, oiseaux marins et terrestres. Sterne huppée (Thalasseus bergii), Aigrette des récifs (Egretta sacra) et Chevalier errant (Heteroscelus incanus) sont quelques-unes des espèces régulièrement observées, qui profitent du lieu pour se nourrir ou se reposer. « La réhabilitation du site permettra peut-être le retour d’autres oiseaux comme le « ruro », le Martin-chasseur vénéré (Todiramphus veneratus) », espère Jean-Yves. « Nous avons observé sur le site et pour la première fois dans la commune de Paea, un « ‘ao », le très rare Héron vert de Tahiti (Butorides striata) ! »

Aigrettes des récifs en bordure de la prairie salée sur la parcelle © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française
Aigrettes des récifs en bordure de la prairie salée sur la parcelle © Jean-Yves Hiro Meyer – Délégation à la Recherche de Polynésie française

Ce premier projet « pilote » va permettre de développer un protocole standardisé de restauration littorale qui pourra être déployé dans les autres îles de l’archipel de la Société par les acteurs locaux. L’écomusée Te Fare Natura de Moorea, envisage déjà de réaliser un second projet de restauration sur l’île, dans la baie d’Oponuhu.

La pépinière, de l’autre côté de la route, est aujourd’hui vide. « La première partie du projet est terminée et les financements sont épuisés. Il faut qu’on réponde à de nouveaux appels à projets pour pouvoir continuer les plantations, recruter un pépiniériste et nettoyer le site » déplore Jean-Yves qui vient régulièrement suivre l’évolution de la végétation et ajouter, de temps en temps, un nouveau plant mis en culture chez ses parents qui habitent en bord de mer à Paea. La sensibilisation commence d’abord en famille !

En savoir plus : consultez le site de Te Ora Naho, la fédération des associations de protection de l’environnement de Polynésie française (FAPE) et téléchargez le Guide de reconnaissance des plantes pour la restauration des zones littorales et marécageuses dans les îles de la Société. Consultez également le portrait de la Polynésie française.

Ardops des Petites Antilles (*Ardops nichollsi*) © Accro’Bats Gérard Issartel - PNRM
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