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« Il s’agit pour nous de mettre en lumière, pas seulement l'herpétofaune, mais toute la richesse faunistique et floristique que nous offre la Guyane »

Propos recueillis par Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre, Association ACWAA - Publié le 31 mai 2023
Tablette de suivi de prospection © Nathalie Aubert

Tablette de suivi de prospection © Nathalie Aubert

Vincent Prémel

Vincent Prémel, naturaliste, botaniste et cartographe au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) et guide pour l’association CERATO.

Le jour, Vincent Prémel, naturaliste, botaniste et cartographe au Conservatoire d’espaces naturels (CEN), arpente les savanes de Guyane. C’est une fois la nuit tombée, qu’il prend alors sa casquette de guide pour l’association CERATO et s’enfonce dans les forêts pour faire découvrir l’herpétofaune (reptiles et amphibiens), au grand public.

Q: Vous êtes missionné par le Conservatoire d'espaces naturels (CEN) pour établir une cartographie des savanes de Guyane. Pouvez-vous nous présenter brièvement ce qu'est une savane et en quoi ce milieu est si important pour la biodiversité ?

La savane est uniquement présente sur la frange du littoral de Guyane, elle est, de ce fait, un milieu très rare qui couvre moins d’1% du territoire, le reste du territoire étant presque exclusivement recouverte d’une forêt dense. De nombreuses espèces animales et végétales sont inféodées à ce biome, en d'autres termes ne vivent qu’en savane, ce qui fait des savanes un milieu prioritaire en termes de protection. Outre sa rareté, elle se démarque par sa singularité en opposition avec la forêt très dense, composée d’arbres de plusieurs dizaines de mètres. La savane est principalement constituée d’une strate plutôt rase, composée de nombreuses herbacées (graminées, poacées etc.), avec parfois de petits îlots forestiers ou de palmiers offrant de grands espaces ouverts le long du littoral. Enfin, il est important de noter que, de par sa localisation et sa facilité à construire (contrairement aux forêts), les savanes sont soumises à de fortes pressions anthropiques, notamment dues à l’explosion démographique et l’artificialisation des sols par l’agriculture.

Sur le terrain © Fabien Lefebvre

Sur le terrain © Fabien Lefebvre

Q: Le travail de cartographe implique d'être sur le terrain pour effectuer des relevés GPS, topographiques, floristiques et faunistiques. Concrètement, comment se déroule une journée type ?

Il y a trois phases, un travail en amont pour repérer les zones potentielles de savanes et effectuer un tracé de mon itinéraire, le but étant de prospecter un maximum de surface. Ce travail préliminaire me permet de visualiser la zone et d’être efficace une fois sur place. La prospection est donc toute dirigée, malgré parfois les aléas du terrain, je prends de nombreuses photos d’habitat, mais aussi de la faune. Mon but premier est de catégoriser les savanes (sèches ou humides) selon une typologie réalisée par des collègues. Enfin, la dernière phase se fait au bureau pour traiter, analyser et rapporter l’ensemble de mes données dans un rapport qui s’apparente à un atlas cartographique des savanes de Guyane.
Contrairement à la forêt qui offre de la fraîcheur et de l'ombre, la savane est sous-évaluée car il est difficile d’y prospecter. C’est un milieu totalement ouvert, où la température monte très vite, à l’inverse, quand il pleut, ce milieu se gorge vite d’eau et il est impossible de s’abriter. Certaines zones sont totalement humides, avec des strates herbacées pouvant atteindre plus d'un mètre et comme le terrain se fait dans la grande majorité à pied, c’est parfois très éprouvant. Mon record sur une journée est d'un peu plus de 20km à pied, et tout ça en bottes ! Donc, globalement, dans cet habitat, il faut être paré à toute éventualité.

Nous voulons savoir comment ont évolué les savanes depuis 72 ans et estimer combien de surface nous avons perdu.

Q: La cartographie des savanes de Guyane n'a jamais été réalisée jusqu'à présent. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots à quoi sert une telle collecte d'informations et qui y aura accès ?

En effet, jusqu’alors aucun travail précis de cartographie, de catégorisation et de synthèse globale n’avait été réalisé, certaines savanes n'avaient même pas de noms. L’objectif est double, principalement grâce aux premières orthophotographies (image aérienne) de la Guyane datant de 1950, nous voulons savoir comment ont évolué les savanes depuis 72 ans et estimer combien de surface nous avons perdu.
Le deuxième objectif est d’avoir un document de référence pour le futur, un document qui servira pour les collectivités territoriales, les organismes d'État mais aussi les associations avec une synthèse des données faune/flore compilées et/ou récoltées depuis maintenant des décennies. Ce travail permettra d’avoir une vision claire à l'échelle du territoire et sera un support aux futures planifications (urbaine, création de réserve etc.)

Q: Votre quotidien sur le terrain vous permet d'observer de nombreux animaux. Pouvez-vous nous citer les rencontres les plus inattendues ?

L'écosystème savane étant sous prospecté, la faune qu’il abrite est en effet assez peu connue. J'ai eu la chance d’observer le Tyranneau barbue (Polystictus pectoralis), petit oiseau inféodé aux savanes (classé “En danger critique” dans la dernière liste rouge IUCN de Guyane). Avec un collègue, j’ai même pu observer pour la première fois la création d’un nid qui donne de l’espoir sur la population nicheuse en Guyane. Concernant l'herpétofaune, qui est ma spécialité, j’ai notamment observé plusieurs Chasseresses des savanes (Philodryas olfersii – « En danger » sur la Liste rouge UICN de Guyane), un magnifique serpent lui aussi uniquement présent dans les savanes. Les mammifères sont quant à eux moins présents comparativement à la forêt, toutefois j’ai eu l'occasion de faire une prospection en compagnie d’un grand tamanoir ou fourmilier géant (Myrmecophaga tridactyla), un mammifère singulier qui parcourt les savanes à la recherche de termitière.

Grand tamanoir dans une savane © Fabien Lefebvre

Grand tamanoir dans une savane © Fabien Lefebvre

Q: Lors des inventaires faunistiques, il arrive parfois de découvrir une espèce rare ou encore inconnue. Quelle est la procédure à suivre dans ce genre de situation ?

L’ensemble des observations faunistiques sont notées et géoréférencées sur le terrain grâce à l’application “NaturaList” qui sert à alimenter la base de données “Faune-Guyane”. Il s 'agit d’un site internet basé sur la science participative, qui permet à n’importe quelle personne, particulier ou professionnel, de contribuer en ajoutant ses observations faunistiques via le site ou l’application téléphone. Cela permet de mieux connaître la répartition des espèces et/ou de confirmer la présence de cette dernière sur une zone. Pour l'herpétofaune, les reptiles et les amphibiens, il est souvent difficile de juger d’une nouvelle espèce seulement au visuel car les espèces sont souvent cryptiques (très similaires entre elles). Une analyse plus approfondie notamment par la morphométrie et la génétique doit être réalisée.

Présentation par Vincent de la Rainette éperonnée ([*Boana calcarata*](https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/891012)) © Fabien Lefebvre.

Présentation par Vincent de la Rainette éperonnée (Boana calcarata) © Fabien Lefebvre.

Q: Vous êtes également herpétologue bénévole et secrétaire de l'association CERATO qui œuvre pour l'étude et la conservation des reptiles et amphibiens de Guyane. Parmi les différentes missions de l'association, la sensibilisation du grand public tient une place importante. Des sorties découvertes sont régulièrement proposées à vos adhérents. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces sorties nocturnes où vous endossez le rôle de guide ? Et quels sont les enjeux de ce genre de sorties ?

CERATO est l’association herpétologique de Guyane, l’équivalent de la SHF (société herpétologique de France) en France métropolitaine. Notre but est en effet de sensibiliser le plus grand nombre à la richesse et à la diversité des espèces de reptiles et amphibiens qu’abrite la Guyane. Nous proposons au moins une sortie par mois et les adhérents peuvent également nous rejoindre pour des projets d’inventaires ou même des « week-end adhérent » pour vivre une immersion en forêt. L’objectif est d’une part faire découvrir cette faune méconnue aux curieux de nature, mais aussi de sensibiliser, notamment sur la thématique serpent qui reste un animal assez craint en Guyane comme ailleurs. La très grande majorité des espèces n’étant pas venimeuses, l'observation y est propice et la rencontre avec des espèces mythiques, comme l’anaconda ou le boa constrictor, est possible dans un seul département français, la Guyane.
Outre les sorties natures, l’association réalise des formations sur les serpents venimeux ainsi que des missions en forêt sur des zones jusqu’alors inconnues en Guyane. Nous réalisons également un gros programme de suivi d’un amphibien rare le Leptodactyle ocellé (Leptodactylus chaquensis) en partenariat avec le Centre Spatial Guyanais. Enfin, nous essayons de faire une veille sur les réseaux sociaux qui est un outil très important pour la sensibilisation de nos jours. Il s’agit pour nous de mettre en lumière, pas seulement l'herpétofaune, mais toute la richesse faunistique et floristique que nous offre la Guyane.

La possibilité de pouvoir agir individuellement pour la connaissance et par extension, pour la préservation de la nature, est une perspective grisante, d’autant plus dans un contexte où l’on sait que la prise en compte de l’environnement à un impact direct sur notre quotidien.

Q: « Faune Guyane » est la plus grosse base faune du département. Largement utilisé par tous les professionnels de l'environnement (bureaux d'études, associations, réserves, scientifiques) et même par les particuliers, elle dépasse aujourd’hui le million de données, permettant de partager les ressources et les connaissances de manière collective. Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaitent se former et s’investir pour la science participative ?

La possibilité de pouvoir agir individuellement pour la connaissance et par extension, pour la préservation de la nature, est une perspective grisante, d’autant plus dans un contexte où l’on sait que la prise en compte de l’environnement à un impact direct sur notre quotidien. Des outils comme par exemple “faune Guyane” ou “naturalist“ offrent à quiconque le pouvoir de s'investir à son échelle. Depuis son jardin, en notant un oiseau ou après un week-end en forêt, en Guyane comme ailleurs, tout le monde peut participer en notant ses observations. Cela permet individuellement à l’utilisateur de voir en direct sa contribution, mais aussi celle des autres. A plus large échelle, ces données peuvent permettre de mieux appréhender les populations et/ou tendance de populations, de mettre à jour les atlas de répartitions, connaître les populations d’oiseaux (nicheurs, migrateurs etc.) ou même de recenser des espèces très rares et peu documentées (ce qui est très régulièrement le cas en Guyane). De manière plus générale, n’importe quel particulier peut s’en emparer et agir pour la protection de l’environnement, tout cela en ayant un réel impact à une large échelle. Les outils de science participative en font partie, j’invite donc tous les curieux à jeter un œil à cet outil (faune-france.fr).

Pour en savoir plus, retrouvez la page facebook du CEN de Guyane et la page facebook de l'association CERATO. Retrouvez aussi Vincent Prémel sur son site internet, ses réseaux sociaux Facebook, Instagram et sa chaîne Youtube.
Pour en apprendre plus sur la biodiversité de Guyane, consultez la page portrait du territoire.

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