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reportage Guyane

Le Centre spatial guyanais : un domaine aux forts enjeux de biodiversité

Publié le 30 sept. 2022
Maquette d'Ariane 5 © Fabien Lefebvre

Maquette d'Ariane 5 © Fabien Lefebvre

Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre - Association ACWAA

Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre - Association ACWAA

Le Centre spatial guyanais (CSG) est le port spatial de l’Europe. C’est d’ici que sont envoyés dans l’espace une bonne part des satellites que nous utilisons au quotidien (météo, GPS, etc.). En décembre 2021, le télescope spatial révolutionnaire américain James Webb y a également été envoyé dans l’espace à bord d’Ariane 5. Le domaine du CSG s'étend sur une superficie de 690 km2, ce qui équivaut pour comparaison à environ les 2⁄3 de la Martinique ! Le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) en est le propriétaire et coordonne l’activité industrielle destinée à assurer la maintenance, l’exploitation et le fonctionnement du CSG, menée par une quarantaine d’entités : donneurs d’ordre, industriels et sous-traitants.

Colibris Ariane de Linnée (*Amazilia fimbriata*), femelle nourrisant son petit © Fabien Lefebvre

Colibris Ariane de Linnée (Amazilia fimbriata), femelle nourrisant son petit © Fabien Lefebvre

« L’accès à cet immense territoire est strictement réglementé et le prélèvement des animaux y est interdit. Ces mesures visant à assurer la sécurité du site spatial ont, de fait, contribué à préserver les espèces présentes. Plusieurs zones classées "ZNIEFF" (Zones naturelles d'intérêt écologique, floristique et faunistique) attestent d’une biodiversité exceptionnelle, et la présence de nouvelles espèces est découverte régulièrement. »

Sentier Ebène © Nathalie Aubert

Sentier Ebène © Nathalie Aubert

« Étendu depuis la bande littorale jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres dans les terres, le domaine du CSG compte 12 types d’habitats naturels. Différents types de mangroves, forêts, vasières, savanes, plages, marais et marécages se succèdent, et évoluent au fil des saisons, façonnés par les éléments. Le CSG a mis en place différents sentiers pour la sensibilisation du grand public. Certains sont accessibles librement comme la Montagne des singes, d’autres uniquement sous forme de visites guidées comme le sentier Ébène. »

Thibaut Ferrieux en pleine observation © Nathalie Aubert

Thibaut Ferrieux en pleine observation © Nathalie Aubert

« Ce site industriel s’inscrit donc au sein d’un espace naturel remarquable et l’étude de la biodiversité locale qu’il abrite suscite l’intérêt des acteurs du territoire. Le Centre national d’études spatiales (CNES) est chargé des questions de préservation de la biodiversité au sein du CSG. Il fait appel à plusieurs partenaires comme l'Office français de la biodiversité (OFB), partenaire depuis une dizaine d'années pour le suivi de la faune sauvage et des habitats, ou l'Office national des forêts (ONF) qui depuis une cinquantaine d’années, assure la gestion du patrimoine forestier, la surveillance et la mise en valeur de la faune sauvage. Il lutte également contre l’illégalité des occupations foncières, ainsi que les prélèvements illégaux de bois et d’animaux. Thibaut Ferrieux, agent à l’ONF depuis 2020, nous accompagne aujourd’hui à la découverte de cette faune sauvage qu’il côtoie quotidiennement. »

: Singes hurleurs roux (*Alouatta macconnelli*) © Fabien Lefebvre

: Singes hurleurs roux (Alouatta macconnelli) © Fabien Lefebvre

« Le Singe hurleur roux (Alouatta macconnelli), aussi appelé Baboune, ne fait l’objet d’aucune mesure de conservation en Guyane. Sa chasse est réglementée à 4 individus par jour et par personne, la pression humaine peut donc être significative sur cette espèce. Le domaine du CSG constitue un refuge pour la faune sauvage en raison de son accès strictement contrôlé et de l’interdiction du prélèvement d’animaux. Après avoir scruté les environs depuis l'observatoire du sentier ébène, Thibaut nous montre trois taches orangées à la cime d’un arbre. Ce sont les babounes. “Il y a beaucoup d’arbres fruitiers dans cette zone ! Lorsque les fruits sont mûrs, on les observe facilement à cet endroit.” »

Manakin Casse-noisette (*Manacus manacus*) © Fabien Lefebvre

Manakin Casse-noisette (Manacus manacus) © Fabien Lefebvre

« Le CNES est engagé dans une démarche de développement durable, certifiée depuis 2004 par la norme ISO 14001 et confirmée en 2019 par l’engagement Act4Nature. Il produit de façon volontaire depuis 2010 un plan de gestion de la biodiversité. Dans le cadre de la réglementation en vigueur, des études d'impact sont menées pour chaque nouveau projet industriel. Lorsqu’un projet ne peut pas être modifié, des mesures compensatoires sont engagées. Des analyses et contrôles réglementaires de l’air sont réalisés lors des lancements et périodiquement hors lancement. La végétation, l’avifaune, la faune aquatique, font également l’objet de suivis. »

Pas de tir d'Ariane 5 © Fabien Lefebvre

Pas de tir d'Ariane 5 © Fabien Lefebvre

« Une zone industrielle de cette envergure et ses activités engendrent des risques et des pollutions. Les impacts environnementaux des lancements sont pris en compte. À proximité du pas de tir, la pollution ne peut être évitée. Ainsi, sur l’ensemble des pas de tir, des carneaux ont été implantés pour rediriger les gaz de combustion au moment du décollage. Sur les ensembles de lancement Ariane et VEGA, un système de déluge permet de rincer ces gaz, afin de capter le maximum de rejets polluants et ne pas les diffuser dans l’environnement proche. Les eaux polluées contenues dans le fond du carneau (en béton, étanche) avant d’être traitées.
Pour Ariane 5, le traitement de l’eau se fait directement sur place, dans le carneau. La nouveauté pour Ariane 6 est l’ajout d’une station de traitement disposant des dernières technologies en matière d’assainissement visant à améliorer le traitement des rejets. Une fois redevenue conforme aux normes environnementales, cette eau est ensuite rendue au milieu naturel. L’analyse régulière des eaux (mer, rivières dans l’enceinte et en périphérie du CNES) par des organismes extérieurs permet d’assurer le suivi de l’état de santé général de la biodiversité aquatique. »

Lac orchidée © Nathalie Aubert

Lac orchidée © Nathalie Aubert

« Le barrage de Petit-Saut créé en 1994, inondant une superficie de 36 000 km2 de forêt sans déforestation préalable, fournit 60% de l’électricité de la Guyane, et alimente le CNES. Gros consommateur d'énergie, le CNES souhaite gagner en autonomie et augmenter son recours à des énergies renouvelables. Ainsi, il projette l’implantation de deux champs de panneaux photovoltaïques et de deux centrales à biomasse qui couvriront environ 90% de ses besoins d’ici 2030. Certains nouveaux bâtiments produisent déjà plus d'électricité qu’ils n’en consomment. Toutefois, la production d’énergie par la biomasse soulève des questions. De quelles sources d’approvisionnement va provenir cette biomasse ? Cela interroge sur la pertinence de la biomasse issue des forêts comme solution face au changement climatique ou encore de la durabilité des sources d’approvisionnement.
Une réflexion sérieuse est aussi en cours concernant l’utilisation de la biomasse produite sur place (biométhane + oxygène) pour l’alimentation des futurs lanceurs Ariane Next. Les objectifs visés sont : le stockage d’une énergie stable, une économie locale circulaire, la valorisation des déchets industriels et ménagers, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. »

Abeille Mélipone © Fabien Lefebvre

Abeille Mélipone © Fabien Lefebvre

« En Guyane, les abeilles mélipones du genre Melipona, seraient les seules abeilles capables de polliniser naturellement les orchidées lianescentes tropicales du genre Vanilla, autrement dit : la vanille. Très sensibles aux pollutions, leur présence à l’état sauvage à moins d’un 1 km du pas de tir est un bio-indicateur positif de l’état de santé des environs. Le CSG a établi une surveillance de la pollution qu’il engendre. Autour des sites sensibles à l’émission de particules, des ruches ont été disposées depuis 2016, afin de pouvoir les étudier en laboratoire. Ce sont alors des milliers d'échantillonneurs qui permettent aux scientifiques d’obtenir des données sur les taux de pollution (captage des métaux, minéraux, etc.) captés pendant que les abeilles se nourrissent, s’abreuvent et durant leurs trajets. Le suivi des biomarqueurs, ainsi que le suivi de l’état de santé générale des ruches, ont permis de conclure à la bonne qualité générale de l’air au CSG. Les plus fortes concentrations en polluants sont mesurées en zone de lancement. »

Ara chloroptère (*Ara chloropterus*) piste Agamy © Fabien Lefebvre

Ara chloroptère (Ara chloropterus) piste Agamy © Fabien Lefebvre

« Le CNES réalise une étude d’impact globale après chaque lancement. Par exemple, lors d’un tir de fusée, les retombées de particules engendrées par les nuages de combustion sont pondérées en fonction des données météorologiques (vent, hygrométrie etc.) Elles sont également surveillées par des analyseurs d’air et collectées via des récupérateurs de particules fines sous forme de bacs à eau. Ces dispositifs sont dispersés à partir du pas de tir et s’étendent diamétralement, de Kourou jusqu'à Sinnamary. Les données sont analysées depuis une vingtaine d'années par l’institut Pasteur à Cayenne. Selon le CSG, les résultats montreraient que les produits de combustion sont détectés dans le premier kilomètre autour du pas de tir, mais que l’impact est faible puis indécelable au-delà. »

Observation jaguar sur un piège photo © Nathalie Aubert

Observation jaguar sur un piège photo © Nathalie Aubert

« L’observation directe de la faune sauvage n’est jamais garantie. Elle impose un minimum de connaissances, une part de chance et beaucoup de patience pour se trouver au bon endroit au bon moment et dans les bonnes conditions !
Les pièges photos ont de nombreux avantages : ils sont actifs 24h/24, ils se déclenchent automatiquement et silencieusement lorsqu’un animal passe dans l’axe du capteur. La plupart d’entre eux disposent d’une fonction infrarouge permettant de faire des images de nuit sans apport d’éclairage. »

Grand Cabassou (*Priodontes maximus*) © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

Grand Cabassou (Priodontes maximus) © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

« Nécessitant une présence humaine uniquement pour placer les dispositifs et récupérer les données, ces appareils sont un moyen non-intrusif d’étude et d’observation de la grande faune sans altérer le comportement des animaux. Ils permettent notamment de répertorier les différentes espèces présentes sur un même site, leurs habitudes de passage, la fréquentation d’un site, les partages de territoire, les naissances, le taux de survie, etc.
Thibaut Ferrieux nous montre les images capturées par les pièges photos qu’il a disposés dans l’enceinte du CSG. Ici un Grand Cabassou ou Tatou Géant (Priodontes maximus), le plus grand tatou du monde pouvant mesurer jusqu'à un mètre. Il s’agit d’une espèce protégée, évaluée vulnérable sur la Liste rouge de l’UICN. »

Tamandua sur une termitière (*Tamandua tetradactyla*) © Fabien Lefebvre

Tamandua sur une termitière (Tamandua tetradactyla) © Fabien Lefebvre

« Solitaire et proche cousin du Tamanoir, le Tamandua (Tamandua tetradactyla) est l’une des 3 espèces de fourmiliers présente en Guyane. Habitant des forêts tropicales et des savanes arides, le CSG lui offre un terrain de jeu idéal. Escalader les arbres est sa spécialité grâce à ses longues griffes tranchantes et sa queue préhensile qu’il enroule autour du tronc ou des branches.
Principalement actif la nuit, son excellent odorat lui permet de trouver rapidement sa nourriture, de s’orienter et d'éviter les insectes toxiques. Passant d’arbre en arbre, son museau allongé et sa langue collante d’une quarantaine de centimètres lui permettent d’ingérer plusieurs milliers de fourmis ou termites. Opportuniste, il se nourrit également d’autres ressources dont le miel, dévorant quelques abeilles au passage. Ses redoutables griffes lui donnent une démarche particulière, l’obligeant à marcher sur le flanc des pattes pour ne pas se blesser, laissant derrière lui des empreintes caractéristiques. »

Tapir (*Tapirus terrestris*) © Piège photo Thibaut Ferrieux ONF

Tapir (Tapirus terrestris) © Piège photo Thibaut Ferrieux ONF

« Avec une allure comparable à celle d’un petit éléphant, le Tapir (Tapirus terrestris), est un animal surprenant. Considéré comme le plus grand mammifère d'Amérique du sud, son poids peut atteindre les 300 kg et sa taille s’approche de celle d’un petit poney. On le retrouve principalement dans les zones de forêts tropicales humides peu impactées par l’Homme. Excellent nageur, il peut notamment utiliser son nez allongé et préhensile comme tuba pour respirer lorsqu’il fuit un prédateur. Classé vulnérable sur la Liste rouge UICN, le tapir donne naissance à un seul petit environ tous les 14 à 18 mois. De nature solitaire et actif principalement la nuit, les pièges photos de Thibaut Ferrieux ont permis de constater la présence de plusieurs individus sur le site du CSG, dont ce gros mâle en quête de nourriture. »

Marquage de territoire par un jaguar © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

Marquage de territoire par un jaguar © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

« Le jaguar (Panthera onca) est le plus grand carnivore terrestre du continent Sud-Américain. Actif de jour comme de nuit, son domaine vital est variable en fonction des ressources disponibles. En Guyane, l’espèce est protégée et considérée quasi-menacée au niveau mondial par l’UICN.
Préférant les zones forestières, il est néanmoins observé dans les différents milieux du territoire. La perte d'habitat liée aux activités humaines (déforestation pour la construction et l’élevage) et la diminution des proies naturelles (chasse, braconnage, urbanisation) induisent de nouvelles guerres de territoire parfois fatales entre les individus. En manque de nourriture, ils se tournent vers des proies faciles comme les animaux d’élevages (bovins, volailles, etc.) et les animaux domestiques (chiens), se retrouvant parfois victimes de tirs de défense. »

Puma © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

Puma © Thibaut Ferrieux - Piège photo – ONF

« Des colliers GPS ont été placés sur certains jaguars capturés proches des habitations afin de mieux comprendre leur comportement pour pouvoir proposer, à terme, des solutions de gestion des conflits entre l’homme et les grands félins. Au CSG, l’OFB a recensé 22 jaguars grâce aux pièges photos. Différents individus ont été observés aux mêmes endroits indiquant que certains territoires pourraient se chevaucher. Leur densité de population est légèrement supérieure à celle rencontrée hors du site.
Ils partagent le même territoire que d’autres félins comme le Puma (Puma concolor) dont la cohabitation au CSG est facilitée notamment par l’abondance de proies naturelles et leurs rythmes de vie différents. Le Puma étant moins actif le jour et ses proies étant plus petites, la compétition entre ces deux prédateurs est faible voire nulle. »


Pour en savoir plus consultez le site internet du Centre Spatial Guyanais et suivez leurs actualités sur leurs réseaux sociaux. Une fois par mois, le centre spatial Guyanais ouvre ses portes au grand public pour une visite des savanes guidée par un agent de l’office national des forêts (ONF). Consultez la programmation 2022.

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