Dans les marais de Yiyi
Publié le 25 avr. 2023Propos recueillis par Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre, Association ACWAA
Connaissez-vous les pripris de Yiyi, situés en Guyane entre les communes d'Iracoubo et Sinnamary ?
Sur le site d’environ 40 000 hectares, les zones humides appelées "pripri" en langue autochtone Kali'na sont un véritable refuge pour la faune et la flore. Les marais sont également appelés "de Yiyi" en l'honneur d'un ancien habitant du site. C'est un endroit parfait pour les amoureux de la nature, les photographes et les randonneurs à la recherche d'un environnement paisible et préservé.
« La Guyane est un territoire souvent associé à une forêt dense et impénétrable, peuplée d'arbres gigantesques. Cependant, il serait réducteur de ne pas considérer les autres écosystèmes qui contribuent également à la richesse de la biodiversité guyanaise. Les marais de Yiyi, situés au nord-ouest de la Guyane, sont un exemple de ces habitats uniques, ayant été classés en Znieff (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) en 2001 puis labellisés "site Ramsar" en 2008. Ce sont des espaces protégés au patrimoine exceptionnel. La chasse y est strictement interdite ce qui en fait un site refuge pour les animaux. Nous vous proposons, une balade photographique permettant une immersion dans ces marais, en compagnie de Charles Bergère, garde du littoral de la commune de Sinnamary. »
« Les habitants de Sinnamary partagent une longue histoire avec ce lieu, qui était autrefois utilisé pour la pêche, la chasse et même l'élevage. Les marais de Yiyi représentent aujourd’hui un patrimoine naturel remarquable. Des associations et des institutions locales de protection de la nature effectuent des inventaires et des suivis de la population animale et végétale.
Aujourd’hui, propriété du Conservatoire du littoral, la gestion du site a été confiée à la mairie de Sinnamary ainsi qu'à l'association Sepanguy (Société d'Étude et de Protection de la Nature en Guyane), qui proposent régulièrement des activités pour permettre de découvrir ce site unique.
Les Pripris de Yiyi sont un site d’observation de la faune et la flore des marais de Guyane, accessible à tout public. Des carbets, des observatoires au sein du marais ainsi que des sentiers d’interprétations ponctuent le parcours et permettent l’observation de toutes les richesses écologiques du site. Une activité touristique s’est développée, mettant en valeur le fort potentiel écologique de la zone. »
« L’observation de ce cormoran olivâtre (Phalacrocorax Brasilianus), classé “Vulnérable” sur la liste rouge de l’UICN, est précieuse, car devenue rare en Guyane. Les promeneurs peuvent l’observer parmi les 211 autres espèces d'oiseaux présentes sur le site. Ce cormoran est fascinant par sa capacité à plonger profondément pour chasser poissons et crustacés en retenant sa respiration pendant plusieurs minutes. Dépourvu de glande de lissage, il doit sécher son plumage après chaque plongée pour éviter de se noyer. Cependant, ce qui semble être un inconvénient devient un atout pour cet oiseau, puisque son plumage gorgé d’eau lui confère un lestage, lui permettant ainsi de plonger plus profondément et sur une longue période. »
« “L'ibis rouge est emblématique de Sinnamary, c'est l’un des endroits de Guyane où on a le plus de chance de l’observer”, nous confie Charles Bergère.
Cette espèce protégée (Eudocimus ruber), d’une magnifique couleur rouge vif à l’extrémité des ailes noire, attire l'œil dans le ciel clair. Elle est facilement reconnaissable à son long bec recourbé, ainsi qu'à son envergure pouvant atteindre jusqu'à un mètre. La couleur de son plumage peut varier en fonction de chaque individu, de la saison et de son alimentation, qui comprend des petits crustacés et des invertébrés aquatiques. De nature grégaire, ces oiseaux volent souvent en formation serrée, en ligne droite ou en forme de "V". On peut les observer sur le sol près de marais côtiers, de savanes inondées, de mangroves, de pâturages et d'estuaires. »
« Les promeneurs peuvent contempler des macrophytes, tel que des nénufars (Nymphea rudgeana, Cabomba aquatica), flottant paisiblement sur les eaux douces des marais depuis l'observatoire. Parmi les espèces rares, on peut observer des orchidées comme Habenaria pratensis, Habenaria trifida et Habenaria longicauda, qui fleurissent dans les savanes inondées.
Cette flore variée offre une abondance de nourriture et fait de ce lieu un véritable sanctuaire pour les espèces présentes dans les marais. Cependant, une grande partie de la faune et la flore abritée par ces habitats est considérée comme vulnérable, menacée d'extinction, voire gravement menacée d'extinction par l'UICN. »
« L'acacia mangium, originaire d’Asie du Sud-Est et d'Australie, a été introduit en Guyane dans les années 1970 pour revégétaliser les sites miniers. Ses graines, distribuées à l’époque aux agriculteurs et aux communes, continuent de se propager et de concurrencer d'autres espèces, notamment dans les savanes. Les Pripris de Yiyi n'ont pas été épargnés et sont devenus un site d'essai pour différentes méthodes de lutte contre cet arbre envahissant. L'une d'entre elles semble avoir fait ses preuves. Notre guide, Charles Bergère, nous explique le processus : "Tout d'abord, une cartographie des individus est réalisée, puis les plus petits sont arrachés à la main, les plus grands sont coupés au sabre et les plus gros sont abattus à la tronçonneuse. La zone est ensuite brûlée de manière ciblée. L'opération est répétée chaque année pour contrôler la propagation et, à terme, éradiquer la croissance des graines enfouies ou déplacées par la faune, comme les oiseaux." »
« À l'entrée des marais de Yiyi, se dresse la maison de la nature, un centre d'échanges, d'éducation et d'accueil du public, qui permet de sensibiliser aux enjeux de biodiversité. La maison abrite un écomusée interactif, où les visiteurs peuvent découvrir les zones humides et les espèces qu'elles abritent. Les gestionnaires du site sensibilisent aussi les plus jeunes et communiquent sur la richesse du lieu en organisant des animations pour les scolaires et en développant des outils adaptés au jeune public. »
« Le pelage roux flamboyant, le cri guttural, pas de doute, il s’agit d’un singe hurleur (Alouatta seniculus). Ce primate d’assez grande taille possède un os creux, situé juste sous le cou, l’os “hyoïde”, comme celui que l’on retrouve chez les humains, mais il est chez les “babounes” beaucoup plus développé. Cet os lui sert de véritable caisse de résonance et lui permet d'amplifier les sons qu’il émet, produisant ainsi ces hurlements caractéristiques du singe hurleur.
Leur régime alimentaire est constitué essentiellement de feuilles et de baies. De nature sociale, ils se rassemblent en petits groupes. Majoritairement actifs du coucher du soleil au lever du jour, ils occupent un territoire d’environ 40 hectares, qu’ils revendiquent en hurlant. En Guyane, la chasse au singe hurleur est réglementée et reste autorisée seulement pour la consommation des chasseurs, dans le limite de 2 individus par chasseur en sortie de chasse. Cependant, le Pripri Yiyi leur offre un refuge naturel, puisque la zone bénéficie d’un arrêté d’interdiction de la chasse. »
« Des marais jusqu’au littoral, le Pripri abrite une multitude d’espèces animales (mammifères, oiseaux, reptiles, poissons, crustacés, etc.). C’est également l’un des endroits incontournables pour l’observation des caïmans. La rencontre avec cet animal est possible de jour bien qu’il soit plus facile de les observer de nuit à bord de votre kayak. L'habitat du pripri de Yiyi est une nurserie idéale pour les caïmans, leur offrant à la fois protection et nourriture. Les espèces rencontrées sont majoritairement des caïmans à lunettes, dont le nom provient de la crête osseuse qui relie leurs yeux, mais il n’est pas rare d’y observer le caïman rouge ou le caïman nain. »
« La loutre géante d'Amazonie (Pteronura brasiliensis), appelée aussi "tigre de l'eau" en Guyane, est un prédateur redoutable pouvant mesurer jusqu'à 1,80 mètre. Elles vivent en groupes dans un territoire familial d'environ 10 kilomètres et sont malheureusement menacées par le braconnage, la perte et la dégradation de leur habitat, ce qui les a presque fait disparaître dans les années 70. L'UICN les classe aujourd'hui comme en danger d’extinction. Charles Bergère exprime son inquiétude concernant la réduction de la population de loutres sur le pripri, "Il n'y a pas de réponse claire pour le moment, mais il est certain que les méthodes de pêche asphyxiantes utilisées par les braconniers en déversant des produits chimiques dans le bras de la rivière en amont du marais ont joué un rôle significatif sur la diminution de la présence de ces animaux sur le site." »
« La maison de la nature offre une expérience unique aux visiteurs tout au long de l'année. Avec des activités gratuites en journée et en soirée, les visiteurs peuvent explorer le site à pied ou en canoë. Le sentier pédestre d'une durée d'une heure et demie permet d'observer les zones de marais, de savane, de forêt et d'admirer une grande variété d’espèces. Des visites naturalistes sont également proposées pour une expérience immersive. »
« Le crapaud Pipa (Pipa pipa), reconnaissable à son corps aplati de couleur brune ou olivâtre et recouvert de nombreuses petites tubercules. Ce crapaud solitaire au physique particulier se nourrit de petits poissons, mais surtout de crustacés qu’il détecte au toucher à l’aide d’organes en forme d’étoiles situés sur le bout de ses doigts.
Pipa est ovipare et sa méthode d’incubation est bien spécifique. Lors de la reproduction, la femelle expulse des œufs, à intervalles réguliers, qui seront fécondés par le mâle. Celui-ci prendra soin d’insérer directement les œufs dans les cavités de la peau du dos de la femelle pour l’incubation (entre 60 et 100 poches). Elles sont visibles sous forme de nids d’abeille irréguliers. Pendant 3 à 4 mois, les larves se transformeront peu à peu en têtard à l’intérieur des poches, ils émergeront ainsi, déjà formés, du dos de leur mère. Une technique bien particulière qui lui permet de protéger sa progéniture lors de la métamorphose. »
« Les pripris de Yiyi nécessitent un entretien pour maintenir l'accessibilité du site et éviter la croissance incontrôlée d'espèces végétales. La "faucardeuse", une machine aquatique spécialement conçue pour les marais, fonctionne comme une tondeuse. Les activités agricoles ont profondément marqué le paysage de ce lieu au fil des ans. Aujourd'hui, sans pâturage, l'espace se referme lentement, entraînant la croissance de certaines espèces indigènes telles que la cabomba, la jacinthe d'eau et le moucou-moucou, qui obstruent les zones d'eau libre. Pour préserver la diversité de ces paysages, les gestionnaires contrôlent ces espèces en effectuant des opérations de faucardage.
“Certains caïmans à lunettes en profitent pour chasser quand j'utilise la faucardeuse lors de l’entretien des sentiers aquatiques !”, nous confie Charles Bergère. »
Pour en savoir plus sur les richesses naturelles des pripris de Yiyi, vous pouvez consulter le site de la commune de Sinnamary, la page Facebook du Pripri de Yiyi, ou bien encore, le site de l'association Sepanguy et leur page Facebook.
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