Une plongée au cœur des fonds marins de Saint-Pierre-et-Miquelon
Publié le 16 avr. 2024Salomé Andres, Patrinat (OFB - MNHN - CNRS - iRD)
L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon présente des écosystèmes remarquables, aussi bien terrestres que marins. Ce sont ces derniers que les scientifiques du CNRS et de PatriNat (OFB – MNHN – CNRS – iRD) sont venus étudier lors d’une mission sur le terrain. L’objectif : observer et recueillir des connaissances sur les habitats tapissant les fonds marins de l’archipel, afin de les inventorier, de les décrire et de contribuer à l’inventaire de la biodiversité.
Au mois d’octobre dernier, Laurent Chauvaud, Erwan Amice et Lucas Pinsivy du laboratoire LEMAR (CNRS) se sont envolés en direction de Saint-Pierre-et-Miquelon afin de réaliser une mission scientifique de deux semaines. Salomé Andres (PatriNat) complétait l'équipe et nous raconte comment s'organise une mission de terrain.
« Cette mission s’inscrivait dans le cadre du projet HABEEM, résultat d’une coopération entre le laboratoire LEMAR (CNRS) et PatriNat et avait pour objectif de recenser les différents habitats marins de l’archipel. Au total, ce ne sont pas moins de 93 stations qui ont été visitées et échantillonnées selon différentes méthodes. Pour la zone intertidale – zone couverte à marée haute et découverte à marée basse, également appelée estran – les observations et échantillonnages se sont fait à pied sur 42 sites. »
« Pour les habitats infralittoraux – zone toujours immergée, à une profondeur comprise entre 0 et 30 m – ce sont 15 sites qui ont été visités par l’équipe en plongée sous-marine. »
« Enfin, les 36 sites restants ont été étudiés à l’aide d’une benne Van Veen, embarquée sur le bateau des pêcheurs Agathe Schmid et Yoann Busnot. Cette benne permet de cibler les habitats subtidaux et d’effectuer un échantillonnage des fonds meubles (sables, vases, débris...) localisés à des profondeurs essentiellement supérieures à 30 m. »
« Le choix des stations s’est fait de manière à pouvoir prospecter un maximum d’habitats marins différents et ainsi, rendre compte de leur diversité. L’équipe mobilisée s’est pour cela aidé des connaissances déjà disponibles sur les fonds marins de Saint-Pierre-et-Miquelon, notamment des cartographies marines existantes, mais aussi des informations glanées auprès des locaux directement interrogés. »
« Les données récoltées sur ces habitats marins sont : des photos, pour illustrer les habitats, des relevés de paramètres environnementaux (profondeur, nature du fond et force du courant notamment) ainsi que la collecte des principales espèces d’invertébrés marins qui les composent. Bien que ces données soient encore en cours de traitement, plusieurs habitats ont déjà pu être identifiés.
La majorité des fonds rocheux de l’archipel, compris entre 0 et 30 m, sont recouverts d’algues rouges calcaires encroûtantes, à l’origine de leur couleur, variant du rose pâle au rose foncé. Ces fonds sont visuellement dominés par les échinodermes : des oursins, des étoiles de mer et des ophiures. »
« Des patchs, parfois même de remarquables bancs de modioles (Modiolus modiolus), peuvent se développer sur ces fonds rocheux, généralement entre 10 et 20 m de profondeur. Ces mollusques de grande taille, pouvant atteindre jusqu’à 23 cm de long, sont des espèces à croissance lente dotées d’une longue durée de vie. Elles forment de vastes moulières, un habitat complexe servant de support et d’abris à une multitude d’espèces. »
« Les fonds rocheux peuvent aussi être colonisés par des algues brunes dressées. Entre 2 et 15 m environ, il est possible d’observer une ceinture à Alaria esculenta mais aussi à Laminaria digitata. Au pied de cette ceinture algale, jusqu’à 8 à 10 m de profondeur environ, un tapis de petites moules (Mytilus edulis), pouvant recouvrir entièrement la roche, y est souvent associé. »
« Plus en profondeur, au-delà de 15 m et jusqu’à au moins 30 m, on peut rencontrer des fonds rocheux à Laminaires criblées (Agarum clathratum). Cette algue brune, facilement reconnaissable aux trous de ses frondes – sortes de feuilles – forment de véritables champs à perte de vue. »
« En-dehors des fonds rocheux, une importante diversité de fonds meubles a pu être observée. Ils ont majoritairement été prospectés par l’intermédiaire des prélèvements réalisés à la benne entre 13 et 150 m de profondeur. Encore une fois, ces prélèvements sont en attente de traitement, cependant plusieurs habitats ont déjà pu être identifiés, notamment les fonds de sables fins à ophiures ou encore les fonds sableux à oursins dollar de sable. »
« Au-delà de 30 m de profondeur, les fonds marins de Saint-Pierre-et-Miquelon présentent la particularité d’abriter une faune partagée avec les milieux polaires et sub-polaires. En effet, en fonction de la saisonnalité et des courants marins opérants autour de l’archipel, la température de l’eau peut atteindre, à partir de cette profondeur, 0°C une partie de l’année. La présence de ces espèces sub-polaires remarquables confère à ce territoire un intérêt particulier en termes de biodiversité. »
« Enfin, accompagnés de Frank Urtizberea de la Direction des Territoires, de l'Alimentation et de la Mer (DTAM) de Saint-Pierre-et-Miquelon, les herbiers de l’Étang du Grand-Barachois ont également pu être parcourus. Ces prairies sous-marines au rôle fonctionnel fort (zone de nourricerie, de nurserie…) font l’objet d’une attention particulière, notamment d’un suivi dans le cadre de l’application de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE).
Certaines zones du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon restent encore à prospecter (l’île de Langlade notamment) et nécessiteraient le montage d’une seconde mission. Cette première session terrain est toutefois un succès puisqu’elle a permis d’identifier un bon nombre d’habitats marins présents sur l’archipel et de rendre compte de la richesse et de la diversité des fonds marins du territoire. Lorsque l’ensemble du matériel récolté sera traité, la connaissance acquise sera restituée sous la forme d’une typologie d’habitat comprenant des fiches descriptives pour chacun des habitats marins ainsi identifiés. »
D’autre part, les photos et vidéos nouvellement capturés en octobre viennent également enrichir le projet INOUÏ Océan porté par l’association Transboréales. Ce projet mêle travaux scientifiques et création artistique pour sensibiliser le grand public aux merveilles sous-marines des îles de St Pierre et Miquelon.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site de la DTAM, ainsi que le site dédié au projet INOUÏ océan. Les résultats de la mission donneront lieu à une typologie des habitats marins, bientôt disponible et consultable en ligne ou en téléchargement. Vous pouvez dès à présent retrouvez des travaux identiques effectués sur d’autres territoires ici.
Découvrez le portrait de Saint-Pierre-et-Miquelon.