Sur le terrain avec une agent de l’environnement à Tromelin
Publié le 15 janv. 2025Léna Margueron, agent environnement des TAAF à Tromelin
Léna Margueron a réalisé deux missions de 3 mois sur l’île Tromelin, petit morceau de terre isolé dans l’océan Indien, administré par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Dans un premier entretien, elle nous a raconté ses missions et les enjeux de biodiversité sur l’île. Complément en images avec ce reportage photo, entre vie quotidienne, portraits de biodiversité et paysages.
« Sur Tromelin, le paysage se modifie chaque jour en fonction des conditions météo et celles de la mer. Cette « piscine » éphémère semble se former chaque année puis disparaître en fonction des vagues et des courants marins. En effet, lors de ma première mission, elle n’existait pas. Cependant, quelques mois plus tard, lors de ma seconde mission, la largeur de la plage avait triplé et cette étendue d’eau se remplissait et se vidait au gré des marées. »
« Attention forte houle ! Seules deux périodes de l’année présentent des épisodes de mer plus calme, aux alentours des dernières semaines d’avril et d’octobre. Le reste du temps, des vagues plus ou moins importantes sont présentes autour de l’île. Les oiseaux marins, notamment les fous à pieds rouges (Sula sula) et les fous masqués juvéniles (Sula dactylatra) profitent de cette houle pour planer au ras des vagues et prendre de la hauteur quelques secondes seulement avant que la vague ne se casse. C’est un spectacle grandiose mêlant légèreté et puissance de la nature. »
« Les oiseaux ne sont pas les seuls résidents de l’île, on y trouve notamment 3 espèces de Bernard l’ermite ainsi que 8 espèces de crabes, comme ce Crabe fantôme cornu (Ocypode ceratophthalmus) aux grands yeux pédonculés, qui creuse des terriers pour s’y cacher. À Tromelin, seules les Sternes fuligineuses (Onychoprion fuscatus) peuvent s’en repaître, les autres espèces d’oiseaux marins étant strictement piscivores, ils consomment exclusivement des poissons et des calmars. Ils sont aussi consommés par d’autres crabes, parfois au sein même de leur espèce. »
« Le bâtiment principal de la base abrite toutes les commodités nécessaires à la vie sur place : infirmerie, cambuse, cuisine, salle à manger, salle de bain, salle de sport, chambres, bureau. On aperçoit sur un mur la peinture d’un fou à pied rouge, l’une des œuvres de l’artiste Gorg One qui a parcouru Tromelin et les Terres australes en 2024 pour orner de ses fresques les bâtiments des différentes bases. Le toit de la station est également une vigie idéale pour observer les couchers de soleil ! »
« La base, en place depuis 70 ans, a été et est toujours entretenue par les équipes vivant sur l’île. Selon les missions, quelques chantiers de réparations ou améliorations sont menés par l’agent des services techniques et les équipes. Sur cette photo, c’est une ouverture au niveau d’un mur de garage qui a été comblée avec des planches en bois.
Ces chantiers sont des moments de cohésion et de partage essentiels à la vie de groupe sur place. Chacun participe comme il peut, avec les connaissances et les compétences qu’il possède, tout en étant bien accompagné par ses coéquipiers. »
« 15 à 30 ans après leur naissance, les tortues vertes (Chelonia mydas), mâles et femelles, regagnent leurs lieux de naissance afin de s’y reproduire durant 2 à 3 mois. Les accouplements ont lieu dans l’eau, à proximité du rivage, et sont surtout observés aux mois de décembre et janvier à Tromelin. Les tortues se reproduisent par fécondation interne, le mâle s’accroche à la carapace de la femelle avec ses nageoires antérieures pour la maintenir. Les ébats peuvent durer plusieurs heures durant lesquelles il n’est pas rare de voir plusieurs mâles harceler le couple en action, tentant leurs chances pour se reproduire également. Contrairement aux femelles, les mâles reviennent rarement sur la terre ferme une fois qu'ils ont éclos. Seules les femelles remontent sur les plages de leur naissance pour pondre 120 à 130 œufs, 3 à 5 fois de suite, avec un intervalle de 15 jours entre chaque ponte. Elles regagnent ensuite leurs aires d’alimentation pour 2 à 4 ans, avant d’entamer un nouveau cycle de reproduction. »
« Les pontes sont des moments épuisants pour les femelles tortues qui doivent quitter le milieu aquatique pour la terre ferme sur laquelle la gravité se fait davantage sentir, les tortues pouvant peser jusqu’à 200 kg. Le processus de ponte peut durer jusqu’à 4 heures entre la montée sur la plage, la ponte en elle-même et le retour à la mer. Certaines tortues, épuisées d’avoir creusé plusieurs fois à différents endroits afin de trouver l’emplacement idéal et après avoir pondu, peuvent être désorientées et se tromper de direction pour regagner la mer. Elles se retrouvent ainsi perdues au milieu de l’île, en plein soleil et peuvent y laisser leur vie si elles ne regagnent pas rapidement la mer, car les tortues vertes sont poïkilothermes, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas en capacité de réguler leur température corporelle et peuvent ainsi succomber à une exposition trop longue au soleil.
Lorsque l’équipe tromelinoise trouve une tortue ainsi en danger, des sessions de sauvetage peuvent avoir lieu. Nous essayons de la guider sans la toucher jusqu’à la mer, mais si elle est trop épuisée pour ramper, l’équipe doit parfois utiliser un peu de matériel pour lui donner un coup de pouce. »
« Une baleine à bosse dans l’immensité de l’océan. Les baleines peuvent être observées au large lorsqu’elles remontent dans les eaux tropicales ou subtropicales en hiver austral pour se reproduire et mettre bas. Requins et dauphins ont déjà été aperçus depuis Tromelin, mais ces observations sont assez rares. »
« En 2023, environ 1800 kg de déchets ont été récoltés sur Tromelin. Cela ne représente qu’une petite partie de tout ce qu’il y a sur place, dont beaucoup sous forme de morceaux de plastique de moins d’1cm. L’arrivée des déchets sur la plage est quotidienne, effaçant rapidement les traces de nos ramassages.
En analysant les données recensées durant les sessions de ramassage des déchets de juillet et octobre 2023 sur les 2 transects étudiés, les types de déchets les plus collectés sont les morceaux de plastique non identifiables, les bouchons de bouteilles, les morceaux de plastiques fondus et les jouets en plastique.
À la pollution issue des objets du quotidien, s’ajoute, entre autres, celle créée par les filets de pêche. À l’heure actuelle, 3 gros filets de pêche comme celui-ci gisent sur le littoral de Tromelin, leur évacuation demande des moyens matériels importants que nous n’avions pas sur place lors de mes deux missions. »
« Chaque mission comprend un(e) infirmier(e) qui a pour mission de former le reste de l’équipe aux soins de premiers secours. En effet, l’isolement de l’île complique la réalisation d’évacuations sanitaires. L’ensemble des agents présents sur place doit être en capacité d’intervenir en cas d’urgence, en accompagnant l’infirmier(e), voire en le ou la soignant. Une formation par semaine est réalisée sur divers cas pratiques (arrêt cardiaque, brûlure, électrocution, fractures, etc.). La pratique de la suture sur clémentines fait partie de ces exercices. »
« La Gygis blanche (Gygis alba) est l’une des deux premières espèces revenues nicher sur Tromelin, en 2014, soit 9 ans après le programme d’éradication des rats réalisé en 2005. En 2023, la population était estimée à 579 couples. Cette espèce présente une caractéristique assez particulière : les parents ne construisent pas de nid, les œufs sont posés en équilibre entre deux branches de veloutiers et sont donc sujets à la chute en cas de gros coups de vent. C’est pourquoi dès la naissance le poussin possède des griffes développées afin de se cramponner aux branches. »
« Les sternes fuligineuses (Onychoprion fuscatus) sont revenues nicher sur l’île en 2016. Leur population semble en augmentation, cependant le suivi réalisé en mai dernier a montré que l’espèce paraît adopter une nouvelle dynamique phénologique, compliquant l’étude démographique. En effet, des micro-populations semblent s’installer sur l’île lors de la période de reproduction (mai/juin) sans être synchronisées au niveau des stades reproducteurs (présence de juvéniles volants en même temps que des œufs encore en incubation). Un nouveau protocole de suivi est en cours de réflexion afin de s’adapter à cette évolution. »
« En 2017, c’était au tour du Puffin du Pacifique (Ardenna pacifica) de revenir nicher à Tromelin. Cette espèce niche au sol, dans des terriers proches du rivage. Avec l’ornithologue Matthieu LeCorre de l’Université de La Réunion, nous avons mis en place quatorze terriers artificiels, qui sont suivis tous les 15 jours, tout au long de l’année. Les effectifs sont encore faibles : entre 2017 et 2022, 10 essais de reproduction dont 3 réussis ont été observés. »
« Envol de fous à pied rouge au coucher du soleil. Ces moments sont magiques à Tromelin. De nombreux oiseaux marins reviennent de leurs parties de pêche et retrouvent leurs nids et/ou leurs partenaires. Apparaît alors un balai grandiose, mélangeant envols, parades, toilettages et marques d’affection. C’est ainsi que s’achèvent nos journées sur l’île, bercées par les comportements et les chants de ces oiseaux fabuleux. »
Pour en savoir plus : consultez également l’entretien avec Léna Margueron.
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