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© Tristan Berr - IRD Nouméa

Clipperton,
l'île de la Passion

Clipperton
© Tristan Berr - IRD Nouméa

L'atoll le plus isolé au monde

Seul territoire français du Pacifique nord, situé à plus d’un millier de kilomètres des côtes mexicaines, l’atoll de Clipperton est considéré comme le plus isolé au monde. Baptisé île de la Passion par les premiers français y ayant débarqué en 1711, cet anneau corallien est l’unique point émergé d’une chaine de monts et de volcans sous-marins. Au sud de l’île, le Rocher qui culmine à 29 m d’altitude est le dernier vestige de sa formation volcanique d’origine. La biodiversité marine autour de Clipperton est particulièrement riche et abondante et l’état de ses récifs coralliens est parmi les meilleurs de la planète. L’atoll constitue une étape et un refuge pour plusieurs espèces migratrices d’oiseaux et de requins, et le premier site mondial de reproduction pour les fous masqués, mais sa biodiversité a été profondément impactée par les activités humaines. Si historiquement l’introduction des porcs domestiques a provoqué l’effondrement des colonies d’oiseaux, les préoccupations actuelles portent surtout sur la pêche non régulée, les macrodéchets ainsi que la vulnérabilité de l’atoll face aux changements climatiques.

1,7
km2
Superficie terrestre
435 612
km2
Superficie marine
0
habitants permanents
29
m
point culminant, Rocher de Clipperton

Quelques repères à Clipperton

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Quelques lieux clés

© Tristan Berr - IRD Nouméa
© Tristan Berr - IRD Nouméa

Le lagon

L’atoll entoure un vaste lagon de 710 hectares, avec une particularité : il ne communique plus avec l’océan depuis la fermeture des passes au milieu du 19e siècle. L’eau de surface et jusqu’à 15 m de profondeur y est très peu salée. Seules 4 espèces de poissons y ont été observées. La flore sous-marine y est également peu diversifiée, mais très abondante : on trouve de grands herbiers de la phanérogame Ruppia maritima et des algues vertes caractérisant les milieux d’eau douce, de la famille des Characeae.

Le trou sans fond, circulaire, visible depuis une image satellite © CNES 2004
Le trou sans fond, circulaire, visible depuis une image satellite © CNES 2004

Le Trou sans fond

Ce puits sous-marin, vestige d’une ancienne cheminée volcanique a longtemps fait l’objet de curiosités. Ses tentatives d’exploration par Cousteau ont été soldées par des échecs en raison d’une trop forte concentration en sulfure d’hydrogène. Sa profondeur a finalement été estimée entre 30 et 35 m, ce qui, contrairement à ce que son nom laisse à penser, n’en fait pas le point le plus profond du lagon.

compléter
compléter

Les îlots

Dix ilots sont répartis à l’intérieur du lagon, principalement au nord-ouest. La totalité de leur surface est inférieure à 5000 m2. Leur sol est composé de graviers et de sables coralliens, cimentés avec du guano.

Vue sur le Rocher de Clipperton © Tristan Berr - IRD Nouméa
Vue sur le Rocher de Clipperton © Tristan Berr - IRD Nouméa

Le Rocher

Point culminant de l’atoll, ce vestige de la formation volcanique de l’île est situé au sud-est. Sa roche est entaillée de failles et de cavités dues à l’érosion. Un phare fut construit à son sommet au début du 20e siècle, durant l’occupation mexicaine de l’île. Il n’en reste que quelques vestiges.

À Clipperton
1
espèces sur les 100 considérées comme les plus envahissantes au monde sont présentes sur le territoire
En savoir plus
Requin à pointe blanche juvénile © Eric Clua - CRIOBE
Requin à pointe blanche juvénile © Eric Clua - CRIOBE

Les requins

Plusieurs espèces de requins fréquentent les eaux de Clipperton. Les espèces dominantes sont le Requin à pointe blanche (Carcharhinus albimarginatus), et le Requin des Galapagos (Carcharhinus galapagensis). Le Requin marteau halicorne (Sphyrna lewinii) est lui plutôt rare. Les premières expéditions (années 50-60) sur l’atoll avaient fait état d’une densité très important de requins, au point parfois de compliquer les plongées. A partir de la fin des années 1990, ces observations se sont faites plus rares, probablement en lien avec une très forte pression de pêche, notamment pour leurs ailerons. En 2016, les membres de l’expédition Pristine Sea relevaient encore avec inquiétude que le nombre de requins observés était faible et leur taille en dessous des tailles de reproduction. Les missions les plus récentes (Tara - 2018, Inapesca - 2019) semblent montrer une amélioration de la situation, avec un nombre d’individus observés en hausse, bien que l'observation d'individus matures sexuellement reste rare.
Les études montrent également des déplacements de requins entre Clipperton, l’archipel des Revillagigedo (Mexique) et les Galapagos (Equateur), confirmant que ces espèces sont migratrices et que leur protection doit s’effectuer à l’échelle internationale.

Statut sur la Liste rouge mondiale : Carcharhinus albimarginatus : vulnérable Carcharhinus galapagensis : préoccupation mineure Sphyrna lewinii : en danger critique

Crabe rouge de Clipperton © Tristan Berr - IRD Nouméa
Crabe rouge de Clipperton © Tristan Berr - IRD Nouméa

Le Crabe rouge de Clipperton

Contrairement à ce que son nom laisse à penser, le Crabe rouge de Clipperton (Johngarthia planata) n’est pas endémique de l’atoll, il se trouve également sur plusieurs îles mexicaines. De coloration orangée et d’une dizaine de centimètres de large, il était autrefois présent en très forte densité à Clipperton : on estimait ses effectifs à 11 millions d’individus avant l'arrivée des rats à la fin des années 1990. Ces derniers en auraient drastiquement fait baisser le nombre. Il semblerait désormais que la population soit stable, de l'ordre de quelques centaines de milliers d’individus. Cette tendance est constatée par le développement de la flore rampante aujourd'hui très étendue et par la présence de nombreuses jeunes pousses de cocotiers qui auparavant étaient consommées par les crabes.

Statut sur la Liste rouge mondiale : non évalué.

Poissons-ange de Clipperton (en haut) et demoiselles de Clipperton (en bas à droite) © Eric Clua - CRIOBE
Poissons-ange de Clipperton (en haut) et demoiselles de Clipperton (en bas à droite) © Eric Clua - CRIOBE

Les poissons osseux

197 espèces de poissons peuplent les eaux autour de l’atoll, dont 106 espèces récifales, et leur densité est exceptionnelle. Sept espèces endémiques ont été recensées, parmi elles on trouve le Poisson-ange de Clipperton (Holacanthus limbaughi), la Demoiselle de Clipperton (Stegastes baldwini) ou encore le Labre de Robertson (Thalassoma robertsoni). On trouve également de nombreuses espèces de mérous, balistes, carangues, poissons chirurgiens, murènes, etc.
La position très océanique de l’atoll engendre la présence d’espèces pélagiques aux abords des pentes récifales, notamment le Thon jaune (Thunnus albacares).

Statut sur la Liste rouge mondiale : Holacanthus limbaughi : quasi-menacé Stegastes baldwini : quasi menacé Thalassoma robertsoni : vulnérable Thunnus albacares : quasi menacé

Fou masqué et son oeuf © Tristan Berr - IRD Nouméa
Fou masqué et son oeuf © Tristan Berr - IRD Nouméa

Le Fou masqué

Reconnaissable à son plumage blanc et son masque noir sur les yeux et autour du bec, le Fou masqué (Sula dactylatra) est l’une des 13 espèces d’oiseaux marins qui se reproduisent à Clipperton. Avec des effectifs estimés à environ 40 000 couples, la colonie de fous masqués présente sur l’atoll est considérée comme la plus grande au monde. Elle est cependant passée au bord de la disparition suite à l’introduction de cochons domestiques sur l’atoll à la fin du 19e siècle mais les populations se sont bien rétablies suite à l'éradication des cochons en 1958.

Aujourd’hui la réduction des stocks de poissons autour de l’île, qui oblige les individus à s'éloigner significativement de l’atoll pour se nourrir, et la prédation des œufs et des juvéniles par les rats, sont préoccupantes pour la conservation des oiseaux marins nicheurs à Clipperton.

Statut sur la Liste rouge mondiale : préoccupation mineure.

Histoire naturelle & temps forts

1520

Date probable de la première découverte, non officielle, par les espagnols

1705

Abandon du pirate Clipperton sur l'île après une mutinerie. Il donnera son nom à l'île.

1711

Premier débarquement officiel français et dénomination île de la Passion

1758

Déclaration à Hawaii de découverte de l'île par les français

Entre 1840 et 1850

Fermeture naturelle du lagon, probablement du fait de tempêtes

1858

Prise de possession par la France

1892-1897

Exploitation du guano par une société américaine

1897

Revendication de l'île par le Mexique

1905 - 1917

Occupation de l'île par une garnison mexicaine. Après un dernier ravitaillement en 1914, « les oubliés de Clipperton » seront victimes de famine et du scorbut. Seuls 11 survivants seront récupérés en 1917.

1931

Arbitrage international du roi d’Italie en faveur de la souveraineté de la France sur l’atoll et sa ZEE

1944

Occupation américaine. Création d’une piste d’aviation et d'une passe entre le lagon et l’extérieur, qui sera refermée au départ des américains.

1966 à 1969

Missions Bougainville de la marine française, étude détaillée de l’hydrobiologie du lagon et de la faune

1978

Expédition Cousteau

1997 - 2001

Introduction des rats sur l’île suite à un naufrage (date précise inconnue)

2001

Mission scientifique Passion 2001 dirigée par le CNRS

2004 - 2005

Expédition de Jean-Louis Etienne

2015

Mission Passion 2015 conduite par l’Université de Polynésie française

2016

Expédition Pristine sea du National Geographic. Rapport du député P. Folliot, recommandation de création d’une réserve marine.

2018

Mission à Clipperton de l’expédition Tara Pacific

2019

Mission franco-mexicaine menée par l’Institut des Pêches du Mexique (INAPESCA) et le CRIOBE

Les récifs coralliens

L’atoll est entouré d’un récif frangeant d’une superficie totale d’environ 3,7 km2. La diversité corallienne n’est pas très élevée, avec une vingtaine d’espèces de coraux répertoriés. On trouve principalement trois genres : Porites (coraux massifs), Pocillopora (coraux à branches très courtes) et Pavona (coraux encroûtants). Les récifs sont en très bonne santé, avec un taux de couverture totale des fonds en corail vivant supérieur à 60 % en moyenne. Les édifices coralliens prédominent largement et les espaces sans coraux sont très rares. La densité de poissons autour des récifs est exceptionnelle.

Récifs coralliens de Clipperton © Eric Clua - CRIOBE
Récifs coralliens de Clipperton © Eric Clua - CRIOBE

La végétation terrestre

Le paysage terrestre est globalement uniforme n’offre qu’un petit nombre d’habitats et la couverture végétale varie fortement au fil du temps, selon les évènements climatiques (cyclones) et les variations des populations des espèces qui consomment les plantules (crabes, rats). La végétation herbacée est principalement composée d’ipomées (Ipomea pes-caprae et Ipomea triloba) des plantes rampantes formant de grands tapis. Les cocotiers (Coco nucifera) présents sur l’île ont été introduits au cours des brèves occupations humaines et s’étendent au cours du temps.

Tapis d'ipomées, cocotiers et fous masqués © Tristan Berr - IRD Nouméa
Tapis d'ipomées, cocotiers et fous masqués © Tristan Berr - IRD Nouméa
Plus de 40 tonnes de déchets venus de la mer parsèment les rivages de l'atoll © Tristan Berr - IRD Nouméa
Plus de 40 tonnes de déchets venus de la mer parsèment les rivages de l'atoll © Tristan Berr - IRD Nouméa

Une biodiversité bien documentée

Malgré son isolement, Clipperton a fait l’objet de nombreuses expéditions scientifiques ayant permis de connaitre et suivre l’évolution de sa biodiversité : couverture végétale, effectifs des populations d’oiseaux et de crabes, invasion par les rats, érosion côtière, composition des communautés récifales, etc. De nombreux organismes de recherche, français (CRIOBE, CNRS, IRD, IMBE,…) et internationaux (INAPESCA, CICESE), sont impliqués dans ces études.

Si la diversité végétale terrestre est pauvre, les eaux autour de Clipperton sont riches et les coraux encore en très bon état. L’île est également située sur un couloir de migration pour de nombreuses espèces marines, en particulier les requins.

Clipperton accueille de nombreux oiseaux, dont la plus grande population mondiale de Fous masqués (Sula dactylatra), et d’autres espèces d’oiseaux marins nicheurs (Fou brun (Sula leucogaster), Frégate du Pacifique (Fregata minor), Noddi brun (Anous stolidus), Gygis blanche (Gygis alba), etc.), ainsi que des limicoles et des oiseaux d’eau, comme le Canard souchet (Spatula clypeata) ou le Grand Héron (Ardea herodias).

Un atoll convoité

Une revendication de la souveraineté par le Mexique existe depuis la prise de possession de la France. L’argument majeur de cette position repose sur l’absence d’occupation physique permanente sur l’atoll. En effet, la présence française, hors expéditions scientifiques, ne se fait qu’au travers d’une visite annuelle par une frégate de la marine nationale.
L’accès à Clipperton est soumis à autorisation du Haut-commissariat de la République en Polynésie française, mais une activité touristique de plaisance non déclarée est constatée, notamment pour la pêche de loisir et la plongée. L’accès à l’atoll est cependant très dangereux et les secours ne peuvent pas être mobilisés en cas d’accident.
Les eaux foisonnantes attirent les navires de pêche industriels. Les prélèvements massifs menacent la ressource en poissons, notamment en thons et en requins, mais également les colonies d’oiseaux, qui se nourrissent de petits poissons et de calamars poussés à la surface par les bancs de thons.

Le fléau des déchets d’origine humaine

Selon une évaluation réalisée en 2015, entre quarante et quarante-cinq tonnes de déchets venus par la mer parsèment le rivage de l’atoll, en premier lieu des déchets plastiques. On trouve également de nombreux déchets issus de la pêche (lignes de pêche, filets, dispositifs concentrateurs de poissons (DCP), bouées abandonnées) ainsi que des épaves en décomposition. Des traces de l’occupation américaine de 1944 sont également encore visibles, dont de nombreux restes de munitions, désamorcées mais laissées sur place, et des carcasses d’engins.

Les macrodéchets ont des impacts considérables sur les populations animales (mutilations, ingestion, étouffement, intoxication, occlusions intestinales) et leur dégradation – qui peut être extrêmement lente – représente également une pollution à long terme (micro-plastiques, contamination aux métaux lourds, polluants organiques persistants). Des prélèvements effectués en 2019 sur toute la pyramide trophique sont en cours d’analyse.

Les conséquences de l’introduction d’espèces exotiques

Plusieurs espèces animales ont été introduites à Clipperton et ont profondément bouleversé l’équilibre de l’écosystème. La densité exceptionnelle en oiseaux marins rapportée lors des premières observations scientifiques a fortement chuté au début du XXe siècle avec l’introduction de cochons par les exploitants de phosphate. Leur éradication a par la suite permis aux populations de se reconstituer.
La présence du Rat noir (Rattus rattus) est observée depuis le début des années 2000, suite à des échouages de bateaux. Compte tenu de son impact majeur sur d’autres territoires insulaires, il représente une menace, notamment pour les petites espèces d’oiseaux de mer nichant à terre.
La flore n’est pas épargnée par les introductions d’espèces exotiques. Des cocotiers (Coco nucifera) ont été introduits en 1897 et se sont multipliés. D’autres espèces de plantes à fleur, de mousses et de lichens, ont probablement été également introduites par les humains.

Quelle protection pour une île si isolée ?

Une aire marine protégée couvrant les eaux territoriales de Clipperton a été créée en novembre 2016. Sont interdits, entre autres le mouillage, la plongée sous-marine, l’introduction d’espèces ou encore l’extraction de matériaux et la prospection minière. Elle s’accompagne également d’une liste d’espèces protégées dont le prélèvement est interdit (dont plusieurs espèces de requins, de raies et de poissons de récifs). Cependant, cette règlementation se heurte la complexité de réaliser des contrôles dans un milieu si isolé.
L’île est très vulnérable aux effets des changements climatiques, notamment la montée des eaux. Une érosion importante est déjà observée dans la partie sud du lagon, qui pourrait conduire à la réouverture d’une ancienne passe et la reconnexion avec la mer.

Une dynamique de coopération scientifique avec le Mexique autour de l’étude et du suivi de l’atoll et de ses eaux adjacentes a été lancée à la suite d’un colloque franco-mexicain à Paris en septembre 2018. L’engagement du Mexique à mettre à disposition des moyens à la mer pour a minima une mission annuelle conjointe sur l’atoll a été tenu en 2019 (Mission Inapesca). La pandémie COVID a interrompu cette dynamique, cependant une volonté partagée de poursuivre cette coopération a été réaffirmée lors d’une visio-conférence en juin 2021. Elle est à ce jour handicapée par le manque de moyens financiers.

L’île de Saint-Barthélemy vue du ciel © Franck Mazéas
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